Rain falls from the clouds, lightning from the stars [Ft. Keithan S.KAHARA & Alizée BLUECHELE]

Rain falls from the clouds, lightning from the stars.  

Je hais cette ville. Je hais ses habitants. Je les HAIS, tous autant qu'ils sont.  Mère Nature semble des plus d'accord avec moi. La pluie frappe les carreaux avec une violence redoublée. C'est le déluge au dehors. J'aimerais pouvoir faire comme elle, laisser les larmes de rages s'écouler, venir lécher mon épiderme encore tremblotant de la douche froide que l'on m'a à nouveau si gentillement donnée. Mais je ne peux pas. Le feu qui me consume est bien trop important. Il sèche tout ce que je voudrais exprimer, me laisse frétillant de l'envie de le laisser parler, de venir tout consumer. Je sens mon sang qui bouillonne à mes temps, perçoit mes phalanges qui se recroquevillent et s'étirent, dans l'envie furieuse de venir cogner. Mes pupilles sont dilatées. On dirait mon état une fois que je me suis piqué. Mais pas cette fois, je veux rester maître de mes moyens, je veux ruminer en paix, savoir comment je vais aller leur faire payer, les détruire. Me détruire. Je suis prisonnier d'une ville que je n'ai jamais pu sacquer, entouré d'enfoirés que je ne demande qu'à rencontrer. Je me suis décidé à l'instant, il est temps des bonnes résolutions, je veux tout connaître de leur vie, tout discerner de leurs défauts, trouver leurs failles. Tendre le doigt pour appuyer là où cela fait mal, enclencher les rouages qui les feront plier. Je ne veux pas régner, pas encore, loin de moi telle idée. Je veux me venger. Me venger de tout ce que l'on me fait. De tout ce qu'ils m'ont fait. Dragon. Alice. Comment ais-je pu bêtement me laisser ensorceler par un tas de plumes immaculées ? Qui bat des cils et montre son corps à tout vent ? Je suis vraiment trop con. Est pris qui croyait prendre.. Ah oui, ça on peut se le dire, elle m'a bien baisé, et ce dans tous les sens que vous le voulez.

Je pourrais vous conter ma soirée sur le bout des doigts. J'avais été d'humeur maussade ce soir là, et pour cause, je venais de découvrir la trace de bétail que Dragon lui avait faîte. Forcément, sans avoir jamais vu son visage, je l'ai imaginé la toucher, ses doigts glissant le long de sa poitrine rebondie, venant se loger là où cela lui plairait. Sauf que.. il n'y avait que moi qui avait ce droit de propriété. Elle était à moi. Ses gémissements étaient à moi, ses fantasmes m'appartenaient. Son cœur aussi. Mais elle n'en avait pas. Sa déchéance n'aurait jamais du aller aussi loin, j'avais fait d'elle un monstre, tout droit sorti de la gueule de Lucifer. Ô, rassurez vous, il ne vous est pas dangereux, loin de là. Elle était devenue mon hydre, ma chimère. Putain. Je n'en reviens pas. Oui, après l'avoir couverte de baisers, avoir obtenu ce que je voulais, je me suis barré. D'accord, c'était peut-être pas le meilleur des comportements. J'aurais pu en profiter un peu plus, être là à son réveil, pouvoir la regarder dans le blanc des yeux, ma main caressant sa joue marquée par les traces de l'oreille. Mais j'suis pas comme ça moi. Pardonnez moi de ne pas être ce gentleman, je me suis enfui comme un voleur. Et c'est sans dire. La petite pièce de dentelle noire, je l'avais savamment glissée au beau milieu de mes affaires. Une trace de ma conquête. Au moins une nuit, elle m'aurait appartenu. Crétin…

Je me redressai subitement, quittant le pont sous lequel je m'étais réfugié. Les lèvres bousillées à force de les avoir mordues, faute d'autres victimes, je laissai les éléments du ciel venir me tremper, de la tête au pied, imprégnant mes cheveux dorés, les aplatissant, les domptant momentanément. Je serais bientôt collant, sentant le chien mouillé. Mais qu'importe. Elle m'avait oublié bordel. Vous vous demandez si je l'avais revue ? Bah bien sûr. Dans cette si petite ville, je ne pouvais pas ne pas la croiser. Faut dire que j'ai aussi un peu forcé le destin, le cœur battant à l'idée de revoir ma belle. Débile. Stupide. Abruti. Oui je l'avais revue. Mes yeux étaient revenus sur son délicieux minois, et le souvenir de nos ébats m'avait transcendé. Je ne demandais qu'à réitérer. Alors, je m'étais approché, l'avait embrassée, sans plus de formalité, lui lançant une petite pique que j'avais mûrement préparée. Et là. Ses sourcils s'étaient froncés, les plis de son visage contractés. Il n'en fallut pas plus pour me déstabiliser.

Alice ? Tu te rappelles ? Hier j'étais chez toi… Avec toi.

Rien. Le néant total. Elle avait nié en bloc. Ma mâchoire avait manqué de se décrocher, et je ne déconne pas. J'ai pas pu m'empêcher de la regarder, sans une once d'animosité au fond des iris, les muscles frémissants.

Si c'est une blague Alice Green, elle n'est pas drôle. Tu m'as invité dans ton lit.

Toujours rien. Foutage de gueule ! Si ça ne lui avait pas plu, elle n'avait qu'à le dire. Oui, j'avais déjà eu des ratés, notamment au vu de mes premières fois, mais plus depuis des lustres ! Et quand bien même je me serais foiré, mon ego en aurait pris un coup et j'aurais voulu me rattraper, voilà tout. Mais au vu de ce que de mon côté j'avais ressenti à le voir ainsi prendre son pied, j'étais loin d'avoir offert à ma nymphe la plus piètre de mes représentations. Mais peut-être après tout que mes prédécesseurs étaient des bêtes dans le domaine. Je n'en savais rien. Le doute plana, quelques instants, jusqu'à ce qu'à force, je comprenne que non, elle ne blaguait pas, n'en conservait vraiment aucun souvenir. Putain de rhum. Pourquoi fallait-il donc qu'il l'ait laissé boire comme ça ? A s'empiffrer de ces cochonneries. Ah elle était belle la jeunesse. Je crois que je n'ai même pas pris la peine de la saluer. J'ai tourné les talons, pour ne pas qu'elle aperçoive la lueur de souffrance qui avait embrasé mes prunelles glacées. A nouveau, j'avais fui, n'était pas demeuré là où j'aurais dû rester. Et me voilà maintenant encore à me lamenter.

Oui, je suis mouillé, trempé, imbibé. Me croyiez vous si je vous dis que je ne sens rien ? Hormis ce poison qui me bouffe, certes. Bah voilà. Moi qui pensais me retrouver, comme ça, entre ses bras, j'avais rechuté. Piètre destinée pour un démon que de s'en finir sous un pont. La vie était tellement injuste. Ah ça, elle s'en souvenait de sa rencontre avec Dragon, ça je peux vous l'assurer. Il suffisait de revoir sa mine désolée, toute attristée alors qu'elle dénonçait ce qu'il lui avait fait.. Et je l'avais crue bordel de merde ! Sa bouille angélique m'avait fait chavirer, j'étais tombé dans ses filets. Je suis sûre que cet enfoiré l'avait comblé, quoi qu'elle puisse en affirmer. D'ailleurs, parlons en de cet enculé. Je crois qu'il détenait la palme de celui que je haïssais le plus. J'avais envie de le déchirer. Venir moi-même discuter. Si j'attendais qu'il vienne à moi, j'en avais pour des lustres. Pourtant, ce dégonflé rassemblait ses troupes, cela ne faisait aucun doute, je le sentais. Dans notre quartier, les démons s'éveillaient, partaient souvent en groupe en direction du palais. Mais moi, bien sûr, j'étais toujours à la salle où dans mon canapé. Je n'avais pas bougé. Bah non, j'étais trop médiocre pour sa personne, bien évidemment. Oui, je souffrais de cet anonymat, oui, je ne supportais pas d'être relégué au rang d'assisté, à passer mes journées à tuer le temps plutôt qu'à servir ma caste. Attention, servir non pas comme un être assujetti, ne mélangeons pas tout. Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Beau proverbe. Je ne comptais pas me laisser me dominer. S'il y avait bien un dominant, il s'agissait de moi. Mais il fallait dire que l'idée de servir les sombres desseins de Lucifer me faisaient vibrer. J'adorais répandre la peur, voir l'angoisse se refléter sur les faciès apeurés.

C'est peut-être ce qui me donna la motivation nécessaire pour me bouger. D'un pas déterminé, je repartis en la direction de mon chez-moi, la tête fièrement dressée sous le ciel assombri. J'aurais ta peau, foutu Dragon de mes deux. Et crois moi, je te l'arracherai lentement, à la force de mes ongles. Je baverai devant ton sang qui s'écoulera, et de tes yeux, je me ferais une petite pétanque. Pourquoi pas. J'irais prendre ceux d'Itsuke aussi au passage, histoire de pouvoir me constituer une équipe digne de ce nom. Ah.. j'oubliais. J'établirai mes quartiers chez toi, et je ferais ce que tu n'as toujours pas commencé. J'irais tuer la poule aux œufs d'ors, ces mauvaises herbes angéliques qui prolifèrent un tantinet trop dans ces contrées. Non parce qu'on a connu mieux niveau efficacité. La démence m'aveuglait, un rire satanique me secoua alors que je m'imaginai que je pourrais triompher. La dessus, je m'aveuglai, assurément. Mais je n'en avait cure. Exprimer toute la violence qui m'habitait me soignait. Je ne guérissais le mal que par le mal, et il était temps que je pense à moi. Ceux qui disent que je ne faisais déjà que cela, je les emmerde. Copieusement.

Mes pas se firent plus rapides sans que je ne m'en rendent compte, et bientôt, j'en fus réduit à courir. Dès que mes foulées se furent agrandies, je retrouvais avec plaisir ce que j'avais trop oublié. Le goût de la traque. Partout où je passais, mon regard se promenait, fouillant chaque recoins auxquels j'accédai, m’intéressant à toute personne que je croisais. Mes yeux se posaient sur leur adorable minois, les imaginant parfois tous de sans tâchés. Instinctivement, ma langue vint pourlécher mes babines retroussées. O que j'aimais ça. Au sein de mes narines, le fumet de ce délicieux nectar vermillon me parvenait, tandis que mes yeux se fermaient, le temps d'imaginer le goût âpre mais si bonifiant qu'il procurait. Pourquoi n'avais-je jamais chassé ? Armé d'un feu follet armé ? Bonne question. Je n'aimais pas cela. Pour moi, la lutte à mort était la plus noble. Elle permettait de démontrer de sa force, aspirer le respect à ceux qui y assistait, ou pourquoi pas les provoquer un tantinet pour que dans la même soirée, un peu plus de sang ne soit versé ? J'adorais l'adrénaline du danger. Le cœur emballé par le combat entamé, les coups qui pleuvaient, la riposte qui menaçait, et finalement l'ennemi qui s'écroulait, à tes pieds. Un dernier coup de couteau affirmant ma victoire, une signature laissée sur le cadavre qui déjà se refroidissait, et j'en étais fort comblé. Oui, il m'en fallait peu. C’est-à-dire que je poursuivait ? Mais ma vengeance voyons. Me voilà qui courrait après mon honneur que l'on avait balancé, que j'avais moi-même mis de côté.

Derrière moi, la porte claqua. Mes pas résonnèrent sur le plancher qui craquait, protestant face à toute cette eau polluée que je ramenais. Ta gueule. La serpillière serait passée, mais pas maintenant. Montant les marches lentement, je gagnai ma salle de bain, m'y douchant longuement. En ressortant, je pris soin de mon apparence. Séchant mes cheveux avec application, je les ébouriffais volontairement, m'aspergeant de déodorant et de parfum musqué. Tant pis pour ceux dont l'odorat était sensible, ils n'auraient qu'à changer de pièce. Sans me vêtir de ma serviette où de mon peignoir, je partis vers ma chambre, ignorant mon lit défait, me glissant au contraire rapidement dans mon dressing ordonné. De là, je ne fis pas compliqué. Un caleçon neutre d'une couleur mauve vint couvrir ce que je considérais comme l'un de mes plus grands atouts. A la vue de la couleur particulière, je retins un rire. Moment de gaieté passager qui me fit d'autant de bien qu'il relâcha mes muscles bandés par la nervosité. Il me faisait penser à Flora. La petite princesse… Je ne l'avais pas revue depuis notre escapade en mer. Il allait falloir que je la retrouve. Elle penserait sûrement que je la harcèle. Peut-être. Mais force était d’admettre que j'’aimais bien sa compagnie. Calme et pourtant tourmentée, comme mon océan bien aimé. Par contre, hors de question que je me munisse de ce bob ridicule. Le balançant au fond de mon étagère, j'en profitai pour attraper une chemise blanche et un jean noir. Sobrement, je m'habillai, déboutonnant deux ou trois attaches histoire de me la péter un peu. Bah oui, j'allais pas bosser tous les jours ce corps d’Apollon pour le masquer, fallait pas déconner. Une fois présentable, je redescendis et enfilais des souliers digne de l'un des plus grands banquier. Finalement, le parapluie à la main, je ressortis. Puisque Dragon se refusait à venir à moi, c'est moi qui irait à lui.

Prenant la direction du palais, du moins je pensais qu'elle était ainsi, je revins sur mes plans à peine esquissé. Mais je finis bien vite par les abandonner. Pas de stratégies, ça ne servait à rien. Et puis, il s'agissait d'une simple prise de contact non ? Courtois et civilisé, Hamilton. Tu rêves. Je ne lui ferais pas cette illusion. Gravissant les marches, je pénétrai dans l'enceinte, m'identifiant à la soit disant loge en faisant claquer mon aura dans les airs histoire de prouver que non je n'étais pas l'un de ses humains maigrelets ou pire encore, l'un de ces fanfreluches d'être ailés. Je ne pris ni la peine de my'arrêter, ni de regarder la pauvre démone en fonction, qui avait été placée là. Traversant les salles comme si je les connaissais et ce depuis des années, je fis abstraction de la décoration et de l'architecture des lieux, obsédés par la personne que je voulais rencontrer. Etait-il richement vêtu ? Etait-il bien bâti ? Menaçant ? Les cheveux grisonnants ? Jeune ? Gonflant ? Mes questions affluaient et une affirmation se différencia des autres : Je ne comptais pas quitter de si tôt ce palais. J'aurais donc tout le temps de me pencher sur ses caractéristiques, apprendre à le parcourir du bout des doigts. Pourtant, même en manquant de repères, je marchai d'un pas assuré, sans jamais hésiter. Certains me demanderont mon secret pour déambuler sans me tromper. Excellente question. Et bien.. quand vous avez la rage au ventre, que vous pénétrez face à l'un des sujets haut-placé de Satan, en général, son influence imprègne les lieux comme l'eau imbibait mes fringues ce matin. Vous voyez le truc ? Bien. Il me suffisait alors de  suivre les pièces où son aura soit disant maléfique régnait pour m'y retrouver. Bon, okay, elle l'était peut-être un tantinet. Au moins un bon point pour lui. C'était peut-être cette noirceur là qui avait séduit Alice. Pourquoi pas ? Elle l'avait sûrement jugé plus habile pour la faire passer de l'autre côté. Un haut le cœur me submergea alors que, une nouvelle fois pour pas changer, je les imaginais se caresser. Putain. Respire. Ne te dégonfle pas. Évite de te faire intercepter avant d'y arr..

« Et ! Vous là ! »

Accélérant, je continuai ma route, les sens en alerte. Dans mon dos, une paire de chaussure claqua sur le marbre souillé, bientôt rejointe par une seconde beaucoup plus agitée. Cela me confortait dans mes choix. Je me dirigeais bel et bien vers la tanière du Dragon. Roupillait-il encore à cette heure comme un ado fêtard ? Sans m'appesantir sur de telles pensée, je finis par pivoter sur moi-même pour me retrouver face à mes poursuivants. Oui, il fallait bien que je m'en débarrasse d'une quelconque façon. Suspicieux, ils m’interrogèrent. Immédiatement, je rappelai mon aura à mes pieds, lui sommant de se calmer. Ce qu'elle fit à regret. Je sentis son souffle et ses mains glacées venir caresser ma nuque, à l'image d'un petit singe qui viendrait s'agripper à moi, regardant par dessus mon épaule la suite des événements. Offrant un sourire rayonnant à ces chiens tout bons à partir direction la Chine, je leur expliquai que j'avais rendez-vous avec leur souverain, d'ici 5minutes à peine, et qu'étant déjà en retard, je ne désirais pas plus me faire attendre. Après quelques arguments copieusement étalés, l'un prit le parti d'aller se renseigner, sortant de la pièce pour gagner l'entrée et gagner la loge qui jamais ne m'avait attendu. Dès que son pas ne résonna plus, je me jetai sur l'autre, lui plaquant une main sur la bouche. Bien évidemment, comme je n'étais ni James Bond ni Tom Cruise, je chutait avec lui, me retrouvant au dessus de lui, l'écrasant copieusement de tout mon poids, De l'autre main, je vins lui cogner la tempe alors que sa bave mouillait celle qui le muselait. A force de répétitions, il finit par cesser de s'agiter. Trop facile. Il allait falloir revoir la sécurité de ce lieu. A moins que Dragon ne craigne vraiment personne et n'ait donc que cure de ceux qui venaient jusqu'à lui, tout autant que de leurs intentions. Tant mieux pour moi, j'avais envie de dire. Me relevant, je le laissait tranquillement roupiller, reprenant quant à moi le fil de mon avancée. Toutefois, j'esquissais une grimace écœurée en essuyant ma main pleine de bave sur l'une des tapisseries qui décorait.

Comme si le Palais m'avait toujours attendu, ce dont je doutais absolument fortement, je déboulai dans une petite pièce douillettement organisée. Sérieusement ? Une salle d'attente ? Mais j'allais pas chez le toubib. Ah pardon, c'est que le Dragon était famous, il devait y avoir de l'attente. Pardon, pardon. J'avais oublié à quel point il était génialissime cet homme. Face à moi, une porte se dressait, richement décorée. Forcément, on était pas dans la section des domestiques ici.. Ce fut vers elle que je me dirigeai sans tarder, actionnant la poignée avec une envie non dissimulée.  Tout mon corps tremblait d'excitation à l'idée d'enfin pouvoir aller me faire cogner. Quitte à terminer à moitié mort, l'envie de moi-même donner quelques coups me démangeait bien trop pour que je puisse me contenter d'une telle mise en garde. Je dus néanmoins contenir mes ardents désirs. La porte était verrouillée. Grondant de colère, je me jetai dessus, lui offrant en gage de petit présent un coup d'épaule qui me fit grimacer. Mais je ne renonçait pas pour autant, réitérant encore et encore. J'étais convaincu que j'y parviendrai.

codage by Serfy

Rain falls from the clouds, lightning from the stars.

Un bon point pour le palais, le bois qui constituait la porte était d’une qualité incontestable au vu de la résistance qu’il m’opposa. Sa rugosité venait à chaque instant chatouiller le dessous de ma chemise et heureusement pour elle, le vernis qui la faisait briller était sec depuis des lustres sinon elle en aurait pris pour son grade, arborant rapidement la couleur brunâtre dont la porte était au préalable maquillée. Oui, je n’avais rien d’autre à foutre qu’estimer la matière dans laquelle la résidence avait été réalisée. On était plus à ça près j’ai envie de vous dire. Mais bientôt, un raffut pas possible se fit entendre au niveau de l’entrée. Immédiatement, je m’arrêtai, et si ma morphologie me l’avait permis, j’en aurais dressé les oreilles d’intérêt. Avaient-ils découvert le corps assoupi de mon « geôlier » ? Assurément pas. Un hennissement strident retentit au contraire dans ce que je jugeais être le hall tandis que des hurlements perçants accompagnaient ce cri bestial. Des pas et encore des pas tambourinaient le sol tapissé, le bruit de fer d’épées qui s’entrechoquent écorchant ma fine ouïe. Que se passait-il ? Dragon arrivait-il déjà ? Sa calèche venait de s’arrêter ou quoi ? Pris de panique à l’idée d’être rejoint par cette enflure alors même que je n’avais pas passé le bout boisé contre lequel je m’échinais, je redoublai d’énergie. Il fallait passer cette barrière et voir après ce qu’il en était. Qu’aurait pensé ma fierté et mon orgueil si je m’étais poliment assis là à patienter que sa Majesté ne daigne montrer le bout de son nez crotté ? Et bien.. pas grand-chose si vous voulez mon avis. Dans mon dos, des bruits de sabots se firent entendre tandis qu’une odeur affreusement âpre et.. fermière me prit aux narines. Ne me dîtes pas qu’il se baladait à cheval dans son propre palais ? Sans délaisser ma besogne, j’étendis mon aura au plus que je le pouvais, dans le but de venir m’enquérir de la teneur en noirceur de celle qui arrivait. Ouf… Dragon n’était pas encore là. Il ne devait s’agir que l’un de ses bêtes sujets. Pour pas changer. Me concentrant sur mon objectif de base, je fus néanmoins interrompu par la voix désagréable de cette même personne, qui en plus avait ramené son équidé. Celui-ci soufflait comme un bœuf, d’une respiration longue et puissante qui n’avait absolument rien d’humain.

Je commençai par me figer, le nez toujours tourné vers la porte qui me toisait, me narguant de toute ma hauteur. Courbant la nuque, je pivotais lentement pour faire face à la femme qui m’interrompait. Nouveau contrôle ? Il allait à nouveau falloir que je montre patte blanche ? Que je me débrouille pour échapper à ses griffes avant qu’elle n’alerte tout le palais ?

« - Qu’es-ce que tu essaies de faire toi ? » me demanda t-elle une fois qu’elle eut mis pied à terre.

Mon regard se fit glacial, un froid polaire venant envahir les vibrations de mon ton.

« Premièrement, nous ne sommes pas en train de bavasser de ce que tu vas faire de ta journée alors tu vas commencer par me vouvoyer. Et ensuite, j’ai oublié mes clés, tu vois bien que j’essaie de rentrer. » répondis-je d’un ton nonchalant, faisant mine de relâcher mes épaules tendues.

Tout mon corps respirait de l’envie de me détourner et de la laisser. Vaquer aux corvées qu’elle avait sûrement à faire. Mais mes sens me rappelèrent bien vite la désagréable présence de son poney. Me bouchant le nez tant bien que mal, je pestai allégrement, râlant sans son consentement :

« Vire donc moi ça ! Il pue la mort ton truc ! »

L’étalon, ou la jument, qu’en savais-je ?, dut sentir l’animosité que j’avais à son égard puisque l’animal renâcla violemment, son sabot venant grattouiller le sol comme s’il testait le terrain avant de se rouler. Oui, oui, fais le malin tant que tu es encore sur tes quatre membres toi ! Lui tournant le dos, je jouais ma carte de bonne gueule, ressassant une nouvelle fois le bobard que je venais de me confectionner.

« Maintenant, excuse moi, mais j’aimerais bien regagner mes quartiers, du boulot m’attend. »

Elle ne me laissa pas le temps de recommencer à me jeter sur la porte comme un demeuré, me prenant de court. S’approchant de l’obstacle en question qui me séparait de mes « quartiers », elle défit de ses cheveux une pince qui éveilla mon intérêt et ni une, ni deux, la porte s’ouvrit lentement, crochetée par la jeune femme qui observait ma réaction, une lueur arrogante brillant au fond de ses prunelles. Grondant de mécontentement, je ne pris la peine de la remercier, la réprimant même vivement.

« J’aurais très bien pu le faire tout seul. Juste, pas de cheval ici. »

Faisait un pas dans la pièce, je constatai bien rapidement qu’il s’agissait d’un bureau et mon dieu, pas de n’importe lequel. Rien que la superficie avait de quoi étonner. Bah tiens, ils auraient sans soucis pu y construire une écurie. Maaais… Cela ne changeait rien, le canasson devait déguerpir. Pour le bien de mon odorat, cette décision était sans appel. Il n’empêche que mes yeux de corrompus par le luxe ne purent s’empêcher de s’extasier face à pareil décor, tant et si bien que j’en laissai dévier ma pensée. Pour la première fois, elle dériva de Dragon pour en revenir à des choses plus… matérielles. Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître étant donné le rang prestigieux de son propriétaire, la pièce avait été organisée dans un style épuré, bien loin de tout le baroque que certaines pièces pouvaient ostentatoirement exhiber. De longues et grandes bibliothèques tapissaient les murs, recouvrant chaque parcelle de paroi dénudée qu’elles pouvaient trouver. Au centre, un bureau trônait, côtoyant des tapis violacées à la vue de laquelle, je ne pus m’empêcher de grimacer. Ça par contre, c’était de mauvais goût. De part et d’autres de l’entrée, des armoiries couleur rouge sang montraient un dragon qui se voulait terrifiant, s’apprêtant à prendre un envol sans précédent. Et en plus, il était vachement modeste comme type.

Avec un délice sans nom, je me laissai glisser dans le fauteuil qui jouxtait le bureau, où je songeai que le fessier délicat et sûrement très ferme de Dragon avait sans nul doute du se reposer à de nombreuses reprises. Un sourire étira la commissure de mes lèvres, alors que je relevai les yeux en la direction de la jeune femme. Ma bonne humeur venait d’en être retrouvée. Comme quoi, il en fallait vraiment très peu pour être heureux. En l’occurrence un peu de corruption marchande, et le tour était joué. Croisant les bras derrière ma nuque, je ne me lassai pas de contempler ce que je « possédais »… Ah oui, il me fallait faire croire que tout m’appartenait. Mais au vu de la mine sceptique de la jeune femme, je sus derechef que mon mensonge n’avait berné personne, surtout après que je me sois extasié de la sorte face au décor de la pièce. Soupirant, je me rectifiai avant qu’elle n’ait la bonne idée de m’étrangler.

« Bon, okay, c’est peut-être pas mon bureau.. Je suis venu voir Dragon. Au vu du fait que tu m’aies aidé à ouvrir la porte quand bien même tu savais pertinemment que je mentais, je présume que tu veux lui aussi le voir et qu’en plus de toute cela tu connais le palais ? »

Posant mes jambes sur le bureau, je me calai bien au fond de mon trône d’ébène, laissant mes yeux glisser sur la démone qui me faisait face. Il faut dire que j’étais si désireux de pénétrer dans l’une des pièces du grand Dragon que la mater ne m’avait même pas effleuré l’esprit. Pas plus que maintenant d’ailleurs. Mon regard se contenta de l’observer, histoire de pouvoir situer le type de personne que je côtoyais. Jusque là, elle n’avait démontré aucun signe d’agressivité et si elle m’avait voulu du mal ou se révélait être à la solde de ce chien, elle me serait déjà tombée dessus, rien que pour être entré en effraction. Mais comme elle y avait participé.. Soit elle voulait me tester, soit elle était comme moi et avait quelques réclamations.

« Tu es ici pour quoi ? Plainte ? Supplication ? Revendications peut-être ? »

Toute trace d’incivilité m’avait quittée, mon ton en étant désormais guilleret et peu pressé. Oh Dragon pouvait bien attendre un peu, je me plaisais, ainsi assis à sa place. Baillant la bouche grande ouverte, ma nuque bascula de quelque peu en arrière, aussi loin que mon dossier me le permettait. Levant les yeux au plafond, je continuai de lui parler, ayant vu qu’elle m’écoutait. Son aura vacillait, avançant, reculant sans arrêt. Une indécise et pourtant une butée, plus que jamais. Il fallait voir comment ses ténèbres venaient à l’encontre de mon aura, la testant sans ménagement. Oh non, cette femme n’était pas une douillette et ne faisait vraisemblablement pas dans la douceur. Cela me plaisait. Au moins une diablotine à la hauteur de son rang. D’ailleurs, en y repensant, cette inconnue à l’accoutrement singulier était la première démone que je rencontrais. Moi qui pensais qu’il s’agissait d’une espèce disparue… Tournant la tête vers elle, je la détaillai un peu plus, ne me braquant pas au regard inquisiteur qu’elle darda sur moi. Vêtue d’un long manteau noir, ses cheveux de jais étaient surmontés de deux petites cornes qui me firent rire. Pas que je me moquai de sa manière d’être, mais l’avertissement que celles-ci avançaient la rendait si particulière.. En voilà une qui n’avait pas froid au yeux et le montrait ouvertement. La robe courte dont la couture caressait ses cuisses à chaque mouvement ne pouvait en démontrer le contraire. Et en plus, elle avait le sens de l’esthétique. Bien, bien… La curiosité imprégnant mes prunelles bleutées, j’aurais bien voulu poursuivre mon interrogatoire, en apprendre un peu plus sur elle mais étrangement, au même moment, le palais se tu, semblant retenir en haleine une respiration qui avait jusque là était des plus bruyantes. Ce soudain silence m’inquiéta et je me redressai immédiatement sur ma chaise, m’aidant de mes paumes qui vinrent se poser de part et d’autre de mon siège. La mort.. La mort paraissait avoir envahi tous les couloirs de cette immensité, et la chaleur que les radiateurs avaient pu auparavant se tuer à créer disparut en un claquement de doigts, remplacée par une fraîcheur à vous glacer le sang. Un long frisson me parcourut. Pas que je sois effrayé, loin de là, mais l’excitation me prit aux tripes, et je ne pus que la laisser venir m’habiter, tant ma fièvre grimpait. Dragon, ici, dans sa maison. Un second rire m’échappa tandis que je me laissai tomber dans mon dossier, retrouvant ma position nonchalante du départ, les mains enlacées au niveau de ma nuque, les pieds posés sur les dossiers que le bureau soutenait. I’m wainting you mon bichon...

Le souffle de la faucheuse approchait, l’aura du souverain claquant sans ménagement. Oh bien sûr qu’elle cherchait les intrus. Un traqueur ne sait que trop bien reconnaître les autres de sa caste et quand bien même la distance qui les séparait était encore suffisamment grande, la fureur que l’aura de Dragon extériorisait en indiquait long sur ses intentions. Quel crétin. Il nous recherchait. Tant mieux. Viens nous rejoindre, on est bien installés et en plus on n’attend plus que toi. Bien que le rire eut cessé de me secouer, un rictus demeura ancré au coin de mes lèvres. Savait-on jamais, je sentais qu’il allait falloir un peu plus que ma belle gueule pour l’amadouer. Ou le tuer. A voir. Quoi qu’il en soit, nous entendîmes bien trop lentement ses pas qui heurtaient le marbre des escaliers. A pas lents, il s’approchait, vicieux peu silencieux. Contre ma poitrine, mon cœur rebondissait, s’agitant en tous sens comme s’il voulait s’en échapper. Une bouffée de chaleur me prit et un vertige vint engourdir mes sens avant que je ne me reprenne, au moment où il apparut dans l’encadrement de la porte.

Il était là, devant moi. Mes yeux se plissèrent alors que ni la grande diablesse ni moi ne soufflions mot, tous deux perdus dans cette attente ralentie. Heureusement pour nous, elle venait de prendre fin. Quelques secondes auparavant, la lourde porte du hall s’en était refermée, en moult bruits et grincement assourdissants. Le fracas avait fait vriller mon étrier, au moment où je réalisais que ce geste nous bloquait. Nous voulait-il prisonniers ? Mais je t’en prie mon bichon, fais comme chez toi.. Alors qu’il déboula dans la pièce comme un prince efflanqué de sa garde, je ne me lassai pas de sourire, mes yeux étincelants face à la vue qu’il me tendait. Je me suis trompé. Ce n’est ni un vieux, ni un gros. Il est plutôt beau garçon même. Je comprends qu’Alice ait pu succomber, au moins elle avait de bons goûts, je devrais m’en sentir flatté. Mais je ne peux pas. Je suis d’un côté hypnotisé par cette personne qui vient de faire son entrée. N’y voyez pas là une stupide admiration comme les gosses ont à l’égard de leur patriarche ou de leur frère. Non mais... son charisme me plût. Sa démarche, droite et fière, déterminée comme jamais n’avait rien de saccadé. Il savait dans quels pas il marchait, devait sûrement porter un masque pour l’éternité. Tout donnait le sentiment d’être déjà déterminé mais les dés n’avaient pourtant pas été jetés !

Si au début je me retins de broncher, me contentant de le laisser approcher, qu’il puisse constater mon attitude désinvolte, je laissai bien rapidement mon aura venir chatouiller la sienne, moitié agressive, moitié curieuse mais cette dernère n’eut d’autre politesse que de lui cracher à la figure. Enfoiré. Je rappelai donc sagement la mienne. Je l’aurais bien caressé pour la calmer, qu’elle ne commette pas d’imprudences mais voilà, ce mot ainsi que ce sens m’échappaient, la prudence… C’est qu’il aimait le spectacle ce chien en plus. Sa voix caverneuse retentit dans l’espace, ricochant contre les murs et leurs attributs.

« Soit vous êtes stupides, soit vous êtes suicidaires. Je n’ai strictement rien à faire de la raison de votre venue, vous avez désobéi à mes règles. A genoux, et n’espérez même pas aller contre mes ordres. »

Levant les mains comme pour lui intimer de se calmer, je lui souris, lui répondant poliment, peut-être avec une pointe d’arrogance. Oups..

« Paix à votre âme mon ami. Peut-être bien que je suis un peu stupide. C’est même fort probable mais techniquement, nous étions là avant vous.. Donc là, c’est vous qui nous rendez visite, on a pas demandé à ce que vous veniez que je sache. Vous êtes venus de vous même. »

Faisant une petite pause, j’avalai tranquillement ma salive. Il nous testait, me laissait parler. Pourquoi, aucune idée, mais tant mieux, cela m’arrangeait.

« Ensuite, désolé, j’ignorais qu’il y avait un règlement. Pardon, à croire que j’ai malencontreusement omis de lire mon carnet de correspondance... »

Une lueur narquoise alluma mon regard alors que je le laissai venir observer mes ongles, ma seconde main toujours perchée du côté de mes cervicales.

« Faut dire qu’on a pas eu beaucoup de nouvelles de vous. Je conçois que vous soyez si fort, au point de pouvoir gérer cette ville à vous tout seul, mais on m’a bien envoyé ici en me précisant que je serais contacté par mes supérieurs. Or… voyez vous, ça va faire trois semaines et… toujours rien. Auriez vous peur de vos propres sujets ? »

Mes yeux dérivèrent de ma paume pour venir détailler tranquillement les siens. Ma mâchoire en vint à se contracter involontairement, sujette au grondement qui commençait à grandir en moi.

« Alors voilà. Puisque vous nous laissez errer comme ces crétins d’anges, nous voilà qui venons revendiquer nos droits. Oh pardon.. je vous offense peut-être en vous traitant d’incapable ? J’ai entendu dire que cela fait mumuse avec Célestia dans les rues pendant que nous.. ? On décrépit au fond des rues. Pas de stratégie, pas de plans, pas de rassemblements. J’avoue que je suis déçu. Déçu de voir la propre impuissance de notre caste dans si petite ville. Si Lucifer nous voyait.. Je pense qu’il penserait autant que moi, qu’en dîtes vous ? Oh.. vous avez peut-être pactisé avec votre tendre amie ? Vous cherchez la paix peut-être ? Voilà qui est digne d’un démon. Ça discutaille avec un ange, et ça veut soumettre ses démons. On croirait rêver. Et croyais moi, on a connu plus joli comme cauchemar. »

Sa bête avait craché son venin et bien que le mien soit nettement moins agressif, nettement plus puéril, je l’imitais, sachant pertinemment qu’il n’y aurait qu’une occasion pour parler. L’autre frémissait déjà de l’envie de l’étrangler à côté, et m’est avis qu’une fois qu’elle l’aurait ouverte, je ne pourrais plus en placer une.

© codage by Serfy

Rain falls from the clouds, lightning from the stars.

Cet entretien étais déjà trop long. Sur mon siège, à peine ce crétin eut-il ouvert la bouche que je me mis déjà à me mouvoir, agité que je suis. Des fourmis s’emparèrent de mes mollets, remontèrent le long de mes quadriceps, jusqu’à ce qu’agacé, je ne claque le pied au sol. Cela dut les surprendre un tant soit peu, et je vis que la diablotine me coula un regard surpris. Dragon quant à lui ne broncha pas le moins du monde, engagé sur sa lancée qu’il était.

« Mon nom est Dragon et je suis seigneur des démons en cette ville. Que cela vous plaise ou non. Vous espériez quoi, à entrer par effraction chez moi, que j’écoute et cède à vos caprices ? Il n’en est pas question. Depuis quand un démon doit-il attendre d’être docilement d’être docilement cueilli avant de se manifester ? La passivité n’est pas un adjectif qu’il convient d’attribuer aux vrais démons. Depuis que j’ai posé le pieds dans cette ville, les choses ont changé. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Dîtes moi, avez vous déjà vécu la Guerre ? Car au cas où vous l’auriez oublié, ici, c’est la guerre. Et un soldat ne doit jamais baisser sa garde. L’un comme l’autre, vous venez en mon palais, me déranger pour des futilités alors que vous devriez vous battre. Alors retournez sur le champs de bataille. Dehors,cette chienne de Célestia gagne du terrain, et j’ai d’autres choses à faire que de m’occuper de deux ménestrels. Alors si vous voulez vous rendre utile, allez calmer ces anges qui se prennent pour des Dieux. »

Mais quel con ! Je me levai d’un bond, les cordes vocales vibrantes, le regard allumé du fou qui essaie de se calmer. Mes muscles encore colonisés par ces foutues fourmis firent fi de leur présence et me portèrent jusqu’à la fenêtre où je commençais à faire les cents pas, le regard tourné vers l’extérieur. Ça me tue de le regarder, de voir ses bras dans laquelle elle a été, de voir ces lèvres qu’elle a bien pu embrasser, qui ont sûrement pu librement aller se balader là où ma propre langue a sûrement pu venir se loger. Il me rend fou. Je crève de jalousie et rien ni personne ne pourra le nier. Pas même moi. Alors okay, je ne suis pas le plus exemplaire des petits soldats qu’il aimerait avoir sous la main. Un rang de soldat… et puis quoi encore?! Je suis le commis de cuisine aussi ? Si tel avait été le cas, tu aurais eu quelques gouttes de cyanure histoire que tu ne sois pas dur, du moins plus auprès d’elle. Un soldat… Connard. Je résiste à l’envie de retourner les yeux vers lui. Je sais que si je le fais, ma rage n’en reviendra que plus rapidement, accourant comme une chienne affamée. Pourtant, j’aime habituellement sentir ce petit dérapage, comprendre que le contrôle m’échappe. En général, il est synonyme de carnage. Et pour le moment, ne pas réfléchir serait justement le carnage. Oui, sur la Guerre, il n’a pas tout à fait tort. Là où ce grand dadet se trompe en revanche, encore une fois, c’est qu’on a pas tous tout à fait les mêmes champs de bataille, ni la même manière de tirer. La seule bataille dans laquelle je me suis pour le moment engagée, je la mène depuis mon lit, bien accompagné. Je les ferais toutes tomber s’il le faut, quitte à terminer par les draps de Célestia. Ma plus belle arme me fut donnée par Apollon, et je ne compte pas la gâcher à parler avec un crétin qui ne prend même pas la peine d’écouter ses sujets. Cela me mine de devoir l’avouer, mais oui, je fais partie des sujets. Je ne suis rien dans cette ville, mais au moins, ça je le sais. Alors quand je trouve enfin un but qui me fait avancer, j’aimerais au moins qu’on puisse me laisser bosser en paix. Mais non, c’est trop demandé. Tu n’as droit à rien, Alec. Et en plus de cela, tu n’aurais pas le droit de te plaindre ? De revendiquer tes droits ? La petite discussions que j’engageai avec moi même eut le don de me calmer un tantinet ou du moins de ne pas me concentrer sur l’envie de l’étriper. Je ne ralentis pas le pas pour si peu, continuant de marcher de longs en large, les bras croisés derrière le bas du dos, le regard tantôt rivé à mes pieds, tantôt levé vers le ciel voilé. Au dehors, la pluie n’avait pas cessé. De temps à un autre, un éclair déchirait le ciel comme elle m’avait déchiré moi. D’un battement de cil. Mais j’étais peut être trop fragile.

Il n’empêche que jamais personne n’avait combattu sans obtenir la moindre compensation en retour. Alors je ne n’allais certainement pas m’engager dans une cause si je n’étais même pas sûr de satisfaire mon intérêt à la fin. Il en était hors de question. Je devrais sûrement repartir auprès de Lucifer, aller faire ma vie ailleurs. Dans un petit bordel peut-être, à tester la qualité des filles. Les entretenir lorsque les crétins qui sont de passage se font trop violent, oubliant qu’elles ne sont pas à usage unique. C’est peut être cela qu’il me faut. Un harem dont je devrais m’occuper. Mais non. Cela serait d’un ennui. Et puis.. devoir les partager, hors de question. Ce qui est possédé, conquis n’a pas le même goût. C’est pour ça qu’elle est exquise. Sauvage à souhait, et pourtant, un petit goût pour la domination. Elle aime me sentir au dessus, mais adore également me sentir la laisser prendre les rênes ou les prendre tout court. J’ai aussi adoré ça. Un sourire nostalgique ébranla mes lèvres qui jusque là étaient restée figées. S’il y a bien une chose que je ne regrettais pas, c’était bien cette nuit là. Ce jeu perpétuel du chat et de la souris, ou aucun n’a de rôle bien défini, c’est ça qui me fait vivre. Me laisser être le chat tout le temps n’a rien de marrant, de complaisant. Heureusement pour moi, une tigresse a fini par croiser ma route. Basculant la tête légèrement sur le côté, je me campai sur mes jambes, ignorant désormais totalement ces deux abrutis. Je ne leur dois rien. Ils ne me doivent rien finalement. Comme ça, on est quitte. Il a voulu chasser sur mon terrain, la soumettre. Il me l’a souillée. Et je me suis souillé en passant après lui. Sauf.. qu’en y réfléchissant, je le referais tous les soirs sans hésiter s’il le fallait. La lueur brisée qu’elle m’avait laissée apercevoir dans ses prunelles légèrement voilée par la tristesse qui la tenait, cela n’avait rien eu de surjoué. Il l’avait véritablement heurtée. Ses épaules recroquevillées contre moi, son regard fuyant, sa voix fatiguée. Mais alors pourquoi avoir tout nié ? Pourquoi ? Et c’était reparti.. Je laissais soin à la fermière de s’entretenir avec notre brave général de pacotille, j’avais déjà bien à faire avec mes propres pensées. Il fallait que je réflechisse pour moi, avant tout. Ensuite on verrait pour les autres. Son regard étincelant alors que je m’approchais, alors que je l’acculais, son corps tourné vers moi, ses ongles contre ma peau. Soit elle avait sacrément joué et tout donné pour me tromper, soit, il y avait anguille sous roche. Etaient-ils de mèches ? Etait-ce un test de la part de Dragon, envoyant l’une de ses favorites ? Non. Elle était bien trop indomptable pour se plier à un crétin qui ne lui donnerait que des ordres. Les ordres ne lui plaisaient pas. Ce n’était pas comme ça qu’elle fonctionnait. Elle marchait à la séduction. Mais là dedans, étais-je justement le pion à séduire ? Avais-je été la cible de ses attaques ? La cible à abattre ? Célestia avait-elle elle aussi envoyé ses troupes pour attaquer sur de tels fronts détournés ? Et Alice dans tout cela ? S’était-elle laissée happée ? Sa tenue de motarde, le noir qui l’habillait quotidiennement, la violence de ses coups au cours de boxe… elle était loin d’être d’une pureté immaculée. Oh… mais bordel, pourquoi fallait-il donc que chacun réflechisse de son côté pour comprendre ce que l’autre voulait lui montrer ? Quel con j’avais été que de la couper avec ce stupide bout de verre, mais quelle fierté quand durant ce cours, elle n’avait eu d’attention que pour moi. Pour me casser la gueule, certes mais au moins, ses coups étaient déjà plus agréables que ceux que j’aurais pu recevoir de Pecgras.

Mes doigts se glissèrent entre les mèches encore légèrement humides de la douche que j’avais prise. Lentement, je m’étais isolé dans mes souvenirs, m’étais recroquevillé tant et si bien que plus rien ne m’atteignait. Ni son stupide dragon qui me donnait envie de ne plus bouger tant il nous menaçait, ni leur voix ne venaient me déranger. Elle avait ce pouvoir sur moi. J’étais entièrement sien, et le pire, c’est que cela ne me dérangeait même pas. Sûrement un peu maso, mais même quand elle blessait, cela me suffisait. Elle me donnait indirectement de son attention, et moi, je restais, comme un con. Mais un con heureux. Alice, Alice.. Dire que j’ai eu envie de te faire la peau, d’éteindre dans ton regard cette lueur qui me donne envie de tuer pour venir la capturer. C’est moi qui ait entamé la traque. Depuis ce ridicule petit numéro au parc, où tu lisais ton magasine de mes deux. Ton indifférence, ton cran, ahah, j’en rigole maintenant, j’en souris mais, j’étais loin de me douter où ça allait me mener. Tout droit dans la gueule de Dragon, avec quoi ? L’envie sourde de le buter ? C’est moi qui vais me faire buter. Ni plus ni moins. Si c’est ça qui doit se passer, faudra que tu saches que tu m’as comblé. Que j’aurais aimer te posséder. Te faire découvrir toute la noirceur de mon monde. Pouvoir casser la gueule à quiconque t’approcherait, castrer tous ces petits merdeux qui auraient posé leurs yeux infâmes sur toi. M’afficher avec toi à mon bras. Entendre tes crises lorsque je me serais absenté toute une nuit, recevoir tes gifles quand tu aurais découvert que je t’avais mise de côté pour d’autre jolis yeux. Ce que tu ne sais pas, c’est que je n’aurais jamais fait cela. Du moins, pas sans toi. Je suis sûre que ce genre de petit plan te plairait bien. Aventurière que tu es. Cela dit, je suis juste pas chaud du tout pour que la troisième personne soit Dragon. Ituske encore à la limite ça aurait été, je sais qu’il est bien plus mauvais que moi. Bref, si je ressors delà, on se fera ça si tu veux. On ira où tu veux. Je t’emmènerais nager autour d’une petite île tranquille. J’irais nous perdre et on essayera de s’apprivoiser.

Un soldat… voilà bien une chose que je ne serais jamais. Si je n’ai pas été contacté, quoi qu’il en dise, c’est que je n’en ai sûrement pas l’étoffe. De toute manière, ce grade si peu élevé ne me convient pas. Je préfère encore me barrer. Tout le monde me sait sans cervelle. Qu’importe, je n’ai pas à faire mes preuves. Mais je ne suivrai certainement pas aveuglément des ordres et des intentions qui peuvent m’amener tout droit dans le ravin. Il en est hors de question. Lentement, je détournai mes songes de ma nymphe. L’amoureux transi, quel ridicule titre. Et pourtant, il n’y avait pas mieux pour me décrire. Bref, Alice, si jamais mon cadavre doit finir devant chez toi. Enterre moi près de toi stp. Je t’aime. Pas autant que je m’aime mais.. presque. Mon sourire retrouvé, je me retournai, m’adossant à la fenêtre, me reconnectant avec le moment présent. Dragon s’était détourné de moi, la diablotine le jaugeant sans ménagement. Qu’ils se disent ce qu’ils avaient à se dire. Je m’étais tout dit. Je n’avais plus rien à ajouter. Et surtout, je ne pouvais plus rien dire. Ma colère était apaisée. S’il me fallait vivre dans le passé, c’est ce que je ferai. Je ne la forçais pas à rester. En tout cas, il m’était impossible désormais de me ranger du côté de Dragon. Pas après ce qu’il lui avait fait. On ne touche pas à mes proies. A moi oui, à elles non.

Néanmoins, quelques services pouvaient être négociés. Ma nymphe contre un peu de mon temps. Elle n’allait jamais me le pardonner que de l’avoir négociée comme un vulgaire bovin mais.. elle était bien trop tentante pour que je ne puisse accepter ou proposer tel marché. Cela dit, il n’y avait sûrement rien à négocier. Il n’aimait pas parler. Il ne se laisserait pas non plus dicter les clauses du contrat. Buté, tyran, rien ni personne ne lui dicteraient sa conduite. Vrai ? Ça tombe bien, moi non plus. Alors non, je ne suis pas désolé d’être venu jusqu’à toi. « Ravi » d’avoir fait ta connaissance. Peut-être à une prochaine fois.

Cela dit, si aucun soldat n’avait à être contacté pour s’engager, ça voulait dire aussi qu’on pouvait rester dans l’ombre et une fois de plus profiter du système ? Non mais parce que si c’est comme ça, je ne vais pas me fouler. A quoi ça sert de redoubler d’effort si au final, tout ce petit monde agit dans son coin, sans qu’il n’y ait rien de coordonné. Si je ne faisais rien, personne n’en saurait rien puisque de toute façon même Dragon ne connaissait pas l’étendue de ses troupes C’était stupide.. Ou alors peut-être aussi que je ne connaissais rien du système, qu’elle et moi étions les seuls démons isolés, à plus se plaindre qu’à agir et que tous les autres se trouvaient êtres liés par la « bataille » qu’ils menaient. En attendant, les humains ? On en faisait quoi ? Je pensais notamment à Flora, ou Avalon. Quels rôles avaient-ils à jouer là dedans ? Je me sentais d’humeur à réfléchir et puisque nous étions notamment bloqués, puisqu’il nous avait si gentillement enfermés, autant ne pas garder ce genre de petites pensées pour moi.

« Bon, sinon, au lieu de se hurler dessus comme s’il n’y avait que cela à faire de la journée, on pourrait se concentrer et discuter un tant soit peu de manière civilisée ou c’est trop demandé ? Si nous venons t’emmerder avec de telles futilités, alors cesse de les attiser. Tu te mets des bâtons dans les roues aussi un peu tout seul. »

Décroisant les bras, je ne levai néanmoins pas les yeux, me refusant à les regarder. Vous connaissez la fable du lion et du rat ? On a toujours besoin de plus petits que soi, et il semblait l’avoir très clairement oublié. Sauf.. que tout seul, il aurait beau faire lui même des caprices à vouloir exterminer son ennemi et nianiania, il n’avancerait pas. C’était beau de critiquer notre manière de procéder quand de son côté, il s’abaissait tout autant à de telles futilités. Aller rencontrer Celestia dans la rue, sans rien ni personne alors qu’elle aurait très bien pu lui tendre un guet append. Peut être avec Alice à ses côtés d’ailleurs. Ça c’était ridicule. Il menait ses batailles tout seul, dans son coin. C’est comme ça qu’on gère son royaume ? A laisser chacun faire sa politique ? Il faudra alors m’expliquer comment on change les choses de la sorte parce que de mon côté, de mon petit quartier, je ne vois aucun changement. Rien. Nada. Et pourtant c’est pas faute de surveiller le moindre progrès. C’est l’anarchie ici. Chacun y fait sa vie et en attendant, si ça se trouve les anges gagnent du terrain. Et moi, je critique, je critique, mais je ne sers tout autant à rien. Alice. Alice allait pouvoir m’aider. Une espionne si elle acceptait de coopérer, de passer de mon côté. L’ironie du sort que cela serait que de pouvoir progresser à l’aide d’une ange déchue plutôt que par soi-même, aidé par les siens. Cela dit, c’était la meilleure option que j’avais sous la main et puis… cela me donnait une excuse pour l’approcher à nouveau. En plus, elle serait de bien meilleure coopération que ces deux imbéciles qui n’écoutent rien, ne pensent qu’à se faire la peau. Moi aussi, je ne voulais qu’en faire à ma guise. Mais entre vouloir et avoir besoin, le vide est grand. Ni elle, ni lui ne l’avaient compris. Bah bravo. Pour une fois que c’est le blond sans cervelle qui pige… Le monde à l’envers. Je m’emballai peut-être mais en tout cas, je ne comprenais absolument pas à quoi il jouait, le fameux Dragon. Ses actions m’étaient brumeuses, et je ne comprenais que les raisons de ses colères légendaires. Après, pour ce qui était du côté un peu plus militaire, là… le néant. De son côté, était-il perdu ? Associale ? Avec tout le fric qu’il possédait, qu’est-ce que ça coutait que de faire une réception pour réunir tout ses démons ? Quel mal y avait-il à faire en sorte que chacun puisse reconnaître ses confrères plutôt que de jouer sur le hasard et la probabilité de les croiser dans la rue. Il y avait bien eu le bal mais tous les habitants avaient été réunis. Les auras des anges avaient un tant soit peu gêné ma vision.

« Qui sont les autres ? Combien sommes nous ? Quels sont leurs rôles ? Sur quels front attaquent-ils et surtout, quel est le but ? Je parle de choses concrètes et demande donc des réponses concrètes. Des chiffres, des explications et surtout un peu de lumière pour m’éclairer parce que là... »

Je m’en foutais très clairement qu’il me considère comme l’un de ses petits soldats. Puisqu’il laissait tout le monde mener son petit bout de chemin, il ne tenait qu’à nous de faire nos plans foireux chacun de notre côté et si rassembler ses chiens était trop compliqué, pas de soucis, je le ferais. Mais je satisferai mes intérêts avant tout. Tant pis pour les siens.

codage by Serfy

Rain falls from the clouds, lightning from the stars.

Le regard d’Alizée coula le long de ma peau comme celui d’un gourmet qui aurait fait tomber le bout de sa pizza. Dégoûtée d’avoir gâché un si beau morceau, mais sachant pertinemment qu’au vu des vers qui commençaient à s’y diriger, il serait compliqué de le rallier à sa part. Inutile d’être devin pour comprendre le mépris que je lui inspirait désormais. Ohh.. madame aurait préféré que je devienne son petit toutou à elle ? Désolée chérie. De un, je ne sais pas me battre, de deux, je hais qu’on m’attache, et de trois, on ne se connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Dommage, ce sera chacun sa route. Surtout, qu’elle daigna finalement m’adresser la parole, ses muscles peauciers lui façonnant une mimique des plus comiques. Du moins, à mon goût. Qu’importe, je pivotai doucement la tête pour lever les yeux vers elle, lui lâchant un haussement d’épaule à la manière de l’adolescent que j’étais il y a quelques années. Tain, tu saoules, fous moi la paix.

« - Tu veux être un soldat ? Bien, mais choisis une cause juste et pas un simple massacre d’innocent. »

Sa réplique fut terminée par mon doux rire enfantin. Quelle blague. J’ai vraiment la tête d’un soldat ? Au moins, là c’était clair et net, elle était timbrée et en plus ne savait percevoir l’intérêt des gens. Cela allait directement contredire le titre qu’elle convoitait. Comment diriger un pays, un bout de « patchwork » comme elle le nomma plus tard, si déjà ce sixième sens vous est manquant ? Cela semblait.. compliqué. Mais soit. Fais ta vie mon enfant, suis tes rêves, laisse moi faire de même en paix. Ne vient juste pas traîner dans mes pattes.

Son petit discours continua, s’adressant à Dragon plus amplement. C’est vrai qu’il s’agissait encore et toujours de la star. Mais où sont les pucelles qui s’égosilleraient à s’en briser les cordes vocales ? Qui s’arracheraient l’une de ses mèches de cheveux et seraient prêtes à ramper à ses pieds pour une nuit à ses côtés ? Vu sous cet angle, il n’était plus si impressionnant, et mon rire se mua en soubresaut silencieux face aux deux protagonistes qui se toisaient, l’une enflammée, l’autre déjà bien refroidi par la scène que tout cela lui inspirait.

Il n’y avait qu’à regarder son expression pour comprendre que tout lui passait bien au dessus des oreilles. Il n’avait cure de nous, ne pensait qu’à écraser sa rivale. Encore et toujours. On pourra me qualifier de tous les noms d’oiseaux, mais au moins, j’ai la lucidité pour avouer quand quelque chose m’obsède. Lui.. pas. Et je persisterai à dire que le militaire en herbe qu’il était avait tout faux sur la commanderie. Ses troupes s’éparpillaient. A sa manière de nous jauger, agacé et désespéré, il ne nous voyait que comme des bambins qui venaient réclamer leur droit de participer aux réunions de famille histoire de savoir qui aura l’immense privilège de passer l’aspirateur et non de terminer à vider les chiottes. Essayez de vous représenter ça en un peu plus classe, je vous assure que cela peut ressembler à des fonctions de guerre. L’un fauchant, l’autre nettoyant. Mais l’on ne donne pas des armes à un enfant, ils finiraient par vous tirer dans le pied. Dragon ne nous donnera rien. Ni armes, ni pain, rien. Nada. Quel gros radin. Et en même temps, je le comprenais.

Laissant les deux idiots se prendre le chou, je pivotai sur ma chaise d’un air pensif. A sa place, que ferais-je hormis réunir les démons ? Je pense que j’attiserai leur désir, que je viendrais passer du temps avec chacun, observant le moindre de leur rouages. Trouver celui défaillant, et promettre de le lui réparer. Les acheter serait néanmoins un peu trop dangereux. Il suffirait que l’autre pimbêche fasse une offre plus alléchante et adios la crédibilité, plus de rempart pour ouvrir la route défunte. Alors comment ? Il est vrai que s’ils étaient tous comme moi, à s’en foutre royalement tant qu’aucune offense ne m’avait été faîte, ça allait être compliqué de les motiver.

Soupirant, je me penchais légèrement en arrière, mettant les talons sur le bord du bureau, mes paumes venant se caler derrière mon crâne. Que c’était compliqué. Au moins, je me calmais doucement, j’en revenais à des choses que j’aimais, et que j’appréciais encore plus que baiser. Et ça mon p’tit gars, faut le faire. Mais attends ?
Un relent de souvenir vint me faire grimacer. Il avait pas un second le bouffon ? Une Hannah quelque chose, une nana ? Ah ouais bah là c’était cramé, fini la possibilité de me faire une place bien placée et payée. J’avais plus qu’à aller me faire engager comme tueur à gage chez Célestia, j’aurais plus de chances. Parce que si elle/il est comme lui, l’ambiance à la maison, ça va pas être jojo, moi je vous le dis.

Ptn mais y’a rien à faire alors ? On va encore se les geler dans notre piaule à s’engraisser ? Je sais pas me battre, et .. je vais apprendre comment ? En cours avec Alice peut être ? Mes muscles s’endolorissent, j’endors mes pensées en consommant une hydromel charnel, et.. tout le monde s’en fout. Ok. Moi je m’en fous pas. Faisant craquer une à une mes vertèbres pour chasser le côté coincé qu’elles me laissaient, je clignais des yeux en voyant Dragon approcher. Quoi ? T’aimes pas voir ma plante de pieds ? Rien de tout cela, il m’enleva sans brutalité les gambettes de son bois poli, décalant de quelque peu la chaise où j’étais avachi. Nous sortant ensuite une liste longue comme le bras, il la déposa sur le bureau, nous intimant de la lire.

Comprenant que le dialogue s’engageait un minimum, je ne me fis pas prier et tendit la main pour m’en emparer avant Alizée. Sans lever les yeux, je m’y attaquai:

« Tu permets ? Les cerveaux d’abord. »

Mes yeux descendirent la diagonale de la page, essayant de comprendre le message que celle-ci délivrait. Des noms en pagaille, tous égayés d’un repère spatial et d’un cadre professionnel. Mais pourquoi ? Etait-ce la liste des démons de cette ville ? Ahah, en tout cas mist Mr Hamilton, vous ne pouvez pas être sur cette liste, il vous manque un emploi. Failed. Dommage, je n’étais pas l’homme idéal pour entrer dans les rangs.
Ce n’est que lorsqu’il nous desservit son petit speech barbant que je compris de quoi il s’agissait réellement. De victimes. Dès lors, mon intérêt retomba à zéro et je laissais échapper la liste, la laissant à nouveau choir sur la table. Quel intérêt ? S’ils sont morts, c’est qu’ils étaient trop faibles pour survivre, que la stratégie mise en place était nulle. Et on va tous y passer si on reste comme ça les bras ballants. Mon nom finira finalement bien par y figurer sur cette foutue liste.

« Et l’inverse ? Combien d’anges tués ? »

Je me rendis bien rapidement compte que j’étais un idiot fini. Pourquoi je gaspillais de ma salive ? Ni l’un ni l’autre n’allaient me répondre, hormis pour me spécifier que j’avais tort dans ma manière de réfléchir, du moins.. s’ils prenaient la peine de me répondre. Me redressant, je posais les coudes sur mes accoudoirs de sorte à pouvoir me relever. Un long soupir en profita pour s’échapper de mes lèvres, accompagnant le frottement que les pieds de la chaise firent contre le sol. Oh et puis je m’en bas les reins, je ne dois rien à personne, qu’ils fassent leur petite guéguerre si ça leur chante, moi je m’en contrefous.

Joli menteur, Alec.. Regarde comme ta respiration est désormais. Légèrement entrecoupée comme quand tu commences à t’émoustiller et en même temps calme comme si tu allais nager. Ne me dis pas que tu n’as pas envie de t’engager là dedans, je sais que c’est faux. Sens comme ton corps est légèrement tendu, campé à la manière de celui qui va s’élancer. Suis la courbe de ton dos, courbé vers l’avant, tes phalanges qui se plient et se déplient, contenant ton impatience grandissante. Tu ne demandes que ça, qu’on te confie une victime. Tu sens l’effluve du parfum que tu aurais à traquer ? Ahah regarde toi, rien qu’avec ces détails, tu en as les pupilles dilatées. Ça t’excites de devoir aller chasser, tu n’attends que ça que de pouvoir passer les doigts puis ta lame sur la gorge de ta cible. Alors ne me mens pas. Et ne te mens pas. Une guerre serait une aubaine pour toi. Un motif pour te livrer à l’un de tes petits plaisirs. Et pourquoi ne pas mêler tes deux intérêts ? Avant de les faire mourir, pourquoi ne pas les combler ?

Oui, ça me rend fou. J’entamais une longue série de pas le long des fenêtres, arquant la nuque vers les fenêtres à l’affût du moindre mouvement dans la cour. Si j’avais été un peu plus poilu et calé niveau chasse, j’en aurais feulé de contentement et de frustration. Enfermé dans ce palais à parler, alors que ça me démangeait de commencer. Une goutte perla le long de ma tempe, que je vins balayer du pouce, l’écrasant contre le tissu qui me couvrait. Une petite hausse de température me donnait envie d’haleter, mais le peu de ma part de civilité n’oubliait pas que je me trouvais en compagnie des deux zigottos, il n’était pas le moment de se donner en spectacle. Il n’empêche que ce serait sacrément bon.

Le regard enflammé, je me pris à me mordiller la lèvre pour l’entailler jusqu’au sang, revenant à la liste des noms cités, et listés. Je ne les connaissais pas, si ça se trouve je les aurais détestés, mais il me fallait un motif pour tuer, pour me sentir dans la légitimité de le faire. Mon sourire permit d’épargner quelques secondes de répit à la chair de ma lèvre qui commençait à picoter, me rappelant le sang qui battait juste en dessous. Beaucoup trop alléchant.

Ma main gauche passa dans le bas de mon dos, le frottant de plus en plus énergiquement pour évacuer ce trop plein d’idées que cela m’inspirait. La réalité était là. Depuis que nous étions entrés, nous n’avions pas avancés, et nous n’avancerions pas si cela continuions comme cela. Quel était le problème ? Alizée. Oh.. mais devrais-je commencer par elle ? Mon regard se vrilla sur elle, remontant le long de ses jambes pour buter sur l’ourlet du bas de sa robe mauve. A sa posture et son assurance, je sentais qu’elle en avait de l’expérience entre les jambes. C’est comme ça que tu veux mourir ? Je t’ouvre le bas, comme ça tes dernières sensations seront là ? Oui mais avec quoi ?

Clignant des yeux, ma tête balaya bien rapidement les lieux, à la recherche d’une possible arme, mais rien ne vint titiller mes pupilles hormis.. l’épée de la folledingue elle même. Mon regard s’assombrit à ce constat. Merde. Je détournai les yeux, regagnant sagement ma fenêtre histoire de ne pas la défier de manière trop prolongée alors que je me trouvais désarmé. Attends ton moment mon mignon. Inspirant profondément, je gardais les yeux grands ouverts, fixés sur les arbres de la cour. Les fermer c’était capituler et laisser mon esprit venir me faire frémir. Or il va se calmer. Maintenant. Déglutissant, je me forçai à immobiliser la moindre partie de mon corps, domptant au fur et à mesure ma respiration pour calmer les frissons qui venaient me lécher d’un air narquois. Un sourire me revint. Je me revoyais, gamin, quand ma soeur me sentait partir en vrille. Elle me chopait la tête sans douceur, me forçant à planter mon regard dans le sien.


A force de tourner autour d’elle pour me calmer en même temps que je m’ancrais à la bouée qu’elle me tendait, je me tranquillisais. Sentir des mains bienveillantes et un point de repère dans le tumulte de mes pulsions, c’était jouissif. Pour m’avoir appris le contrôle quand je n’étais pas encore trop lancé, je ne lui serais jamais assez reconnaissant. Sinon, j’aurais pas survécu longtemps, petit mec maigrelet que j’étais. Tu vois ? Tu m’aides encore des années après.
Inspirant une dernière fois, je tendis les oreilles pour percevoir ce qui se passait derrière moi. On reprend Dragon ?

codage by Serfy

Rain falls from the clouds, lightning from the stars.

Incroyable à quel point ce papier peint est doux à souhait. Oui, parce que clairement, lui et moi avions fusionné. Pour les deux tarlouses qui partageaient mon air, je faisais maintenant partie intégrante du décor. Ce n’était pas plus mal : je pouvais écouter sans intervenir, fermer ma gueule et me concentrer. Pour ne pas que cela fasse suspect, je poursuivis tout de même mon parcours, persistant à passer et repasser devant la fenêtre aux rideaux flamboyants. Au dehors, le zénith avait décliné, et les nuages étaient revenus. Impossible donc de me renseigner sur l’heure qu’il était. Qu’importe, ce n’est pas comme si l’on m’attendait à la maison, ou que j’avais quelque chose à foutre dans cette maudite cité.

Alors, par dépit je m’instruisis sur la folledingue et son passé.

« - Les anges tuent les démons pour le plaisir tu dis...Et les démons tuent les anges pour survivre...Alors toi qui semble tout savoir, explique moi ce que les démons pouvaient bien reprocher à Cassie. Explique moi pourquoi les démons tuent les démons. Les démons ne sont pas les pauvres victimes que tu présentes. Nous tuons pour nous même et nous tuons qui nous voulons. »

Qui était cette chère Cassie ? Un être précieux aux yeux de la diablotine à n’en pas douter au vu de l’émotion qui tremblotait au fin fond de sa gorge, faisant anormalement vibrer ses cordes vocales. La lutte prenait des proportions toutes autres maintenant que le personnel était engagé. La jeune femme démontrait des faiblesses qu’il aurait mieux fallu ne pas montrer à un homme de la trempe de Dragon. Autant de mesures qui permettaient de donner lieu à quelques viles manipulations. Donner le baton pour se faire battre, quelle faute stupide pour quelqu’un qui se voulait sage. M’enfin, qui étais-je pour critiquer ? Personne, vous l’avez bien dit.

Toutefois, la réplique de Dragon ne me laissa pas indifférent.

"C’est notre liberté. Tuer sans distinction les anges qui nous font face, ou les démons qui nous poignardent le dos. Tu veux devenir reine, tu veux diriger, mais tu viens me demander des comptes pour ton passé ? Tu me demandes de prendre mes responsabilités alors que tu n’es visiblement pas capable de comprendre les tiennes ? Tu as déjà tué des démons Alizée. Appelle cela comme tu veux, mais pour moi c’est de l’hypocrisie."

Quelle stupidité à vouloir prétendre au titre brinquebalant de roi/reine. Il n’y avait rien de pire que d’ainsi s’enchaîner à un palais qui ne regorge que d’âmes prêtes à vous égorger. Oh sur votre passage, vous ne récoltez que de doux sourires, de mielleuses déclarations, des gerbes d’admirations ! Officiellement, c’est carrément la belle vie. Officieusement… le seul avantage, c’est de pouvoir te taper qui tu veux si tu veux mon avis. Là être roi prend tout son sens. Être reine pour ce seul avantage… il est vrai que les difficultés étaient toutes autres. La cour avait la critique facile. Quel dommage. Quel bel exemple cela serait-ce que de voir une reine libre de tous ses mouvements. M’enfin, je ne pourrais malheureusement m’engager dans la lutte à ce niveau là. Quoique.. si elles me mandataient pour les aider… Je ne serais pas contre le fait de venir m’essayer à leur literie de qualité.

Mais.. nous nous égarons grandement là ! Et pas qu’intellectuellement parlant. Je constatais amèrement que mon pas s’était stoppé. Je me retrouvais planté comme un abruti face à ces deux crétins. Me mordant la lèvre pour profiter du goût sanguin que cela diffusait le long de mon palais, je repris ma marche, me rapprochant cette fois-ci bien plus franchement de la sortie du cabinet. Comme dit précédemment, je n’avais pas grand-chose à faire dans la cité, mais rester ici commençait à m’insupporter. Dragon n’était pas la porte qui me permettrait de m’engager dans la lutte. Il allait falloir que je trouve un autre point d’accès. Où, je n’en avais aucune fichtre idée, mais un sage proverbe italien m’avait enseigné que la lenteur permettait la longévité. Pourvu que cela ne provienne pas de la première bouche en cul de poule trouvée.. Barfh. Un peu de foi et d’efforts devraient me permettre de trouver chaussure à mon pied. Et au pire j’irais me défouler ci et là pour calmer mes nerfs. J’enregistrais dans un coin de ma tête la dégaine d’Alizée, histoire de reconnaître sa silhouette si un jour nous en venions à nous recroiser. Pour un peu qu’elle soit aussi un tantinet à fleur de peau, cela pourrait me permettre d’en profiter un peu ? M’enfin. J’avais encore tout le temps d’y repenser.


Saluant au passage son souverain et l’une de ses futures cibles, le démon fit preuve d’un dernier geste d’insolence, avant de claquer la porte derrière lui sans un mot de plus. Il n’y en avait désormais plus besoin. La patience de Dragon avait été outrepassée et la jeune femme était bien trop occupée à croiser le fer pour des souvenirs qui la hantaient. D’un pas morne et vif à la fois, le suédois repris le chemin en sens inverse, saluant chaque garde qu’il rencontrait. Etrangement, cela était nettement plus simple dans le sens là. Personne ne l’emmerdait pour circuler. Quel pouvoir étrange que la sortie… Et si il avait dérobé l’argenterie de monsieur, ou voler la lingerie de madame ? Et bien il serait sorti sans aucun souci. Seule l’entrée avait été condamnée. Le reste n’alertait guère les sens des soldats apeurés. Ceux-ci courraient en tout sens, encore mû par l’emprise furieuse de l’aura que Dragon claquait ci et là. Celle tranquille d’Alec ondulait le long de son épiderme, léchouillant gentillement son maître adoré. S’il essuya quelques regards mauvais, le suédois n’eut à déplorer aucun rapport de force. Il put ainsi rentrer chez lui sans encombre, un brin déçu de ne pas pouvoir tremper son poing. (et non son biscuit, je vous vois venir).

codage by Serfy