Plus qu'un simple travail [PV Casey]

Printemps - Mois 6 - Jour 22


Le Nocturne, voilà bien un nom qui avait le don d'attirer l'attention de quiconque passait devant ce bar dont l'enseigne, similaire aux autres de cette petite ville, possédait pourtant ce petit quelque chose d'indéfinissable qui restait gravé dans votre esprit, sans que vous ne sachiez exactement pourquoi. Cela faisait quatre jours que Asen avait rejoint Damned Town, et trois jours qu'il s'occupait du chaton qu'il avait recueilli et qui commençait déjà à grandir à vue d’œil. Le démon avait déjà fait deux fois le tour de la ville, une première fois pour repérer les différentes rues, les passages plus étroits, les lieux d'activité et, à l'inverse, ceux où les gens se faisaient plus discrets, plus absents. Ayant choisi un logement hors du quartier des démons, il voyait chaque jour passer des mortels devant ses fenêtres et avait mis au point un rituel dès le second jour sur place : entraînement matinal rigoureux et course à pied avec un circuit différent chaque jour, ceci afin de continuer à être au meilleur de sa forme tout en se familiarisant avec ce territoire encore méconnu. Il savait qu'ici il devait se fondre dans la masse et, bien qu'ici il n'y ai ni facture ni impôt, trouver un travail s'avérait nécessaire s'il voulait pouvoir manger et profiter des divertissements locaux. Et c'est là qu'à force de passer devant différents bars que le métier de videur lui avait paru être le plus intéressant.

Bien sûr à Damned Town la violence ne semblait pas être un problème très présent, mais de ce qu'il en savait un bar avait toujours besoin d'un videur capable d'assurer la sécurité des clients, séparer les ivrognes et mettre dehors les fauteurs de trouble. Vu sa carrure qui pouvait en dissuader plus d'un, sa force certaine et son calme à presque toute épreuve, Asen avait finit par jeter son dévolu sur un bar devant lequel il passait chaque jour lors de sa course matinale : le Nocturne. Tôt le matin, il n'y avait pas âme qui vive, mais une fois l'établissement ouvert, le démon pu constater que l'endroit possédait une clientèle pour le moins... singulière. Démons, déchus et autres anges, en plus d'humains inconscients de ceux qui l'entouraient, passaient régulièrement la porte et semblaient même avoir, pour certains, leurs habitudes. Voilà bien une chose suffisamment singulière pour intriguer et c'est le soir du vingt-deuxième jour du sixième mois que le Dendrobate se décida à en passer la porte. Vêtu d'une chemise noire et d'un jean qu'il avait trouvé dans son armoire, ses cheveux blonds pâles en arrière,  il jeta un regard circulaire sur l'endroit avant de repérer le comptoir, s'avançant vers celui-ci d'un pas tranquille, son aura sagement et totalement contenue à l'intérieur de son corps.

- Bonsoir.

Fit-il en prenant place sur l'un des tabourets hauts du bar, avisant la personne qui se trouvait de l'autre côté du comptoir, face à lui, et dont les lunettes originales l'intriguèrent autant que le reste de l'endroit qu'il découvrait pour la première fois.

- Est-ce que la tenancière est là ? Je souhaiterais lui parler.

Être un démon ne signifiait pas qu'on manquait de politesse ou d'éducation, même si dans son cas Asen avait été élevé d'une façon particulière, il avait rapidement appris hors des terres familiales qu'un peu de tenue et de savoir-vivre ouvraient bien plus de portes que la lame d'une épée sous une gorge.

La journée se déroulait comme à l’accoutumée, les clients s’en allaient et venaient au rythme des horaires de travail, tu voyais passer de tout, et autant d’information qu’ils laissaient échapper sans même s’en rendre compte. Tu étais toi-même surprise à quel point une âme solitaire était désespérée. Il te suffisait de montrer un semblant d’attention, même pas dans certains cas. C’est fou ce qu’ils pouvaient raconter à une simple barmaid, mais toi ça t’arrangeait bien. Cela mettait de l’eau dans ton moulin et tu étais au courant de tout ce qu’il se passait dans cette ville sans même avoir à utiliser tes pouvoirs la plupart du temps. Le gain d’énergie était conséquent à n’en point douter. Ainsi tu lavais tes verres, tu n’aimes pas la vaisselle sale et l’encombrement. L’environnement est à l’image de la psyché dans un environnement encombré, nulle concentration n’est possible. Et même si tu ne vois pas, tu le sais, tu entends les verres laissés négligemment sur la table, tu sais au son des verres combiens sont encore à laver dans l’évier. Et à moins d’être débordé, ce désordre tu es insupportable. Ainsi tu es toujours en train de nettoyer quelque chose ou de ranger de la vaisselle quand les clients ne se bousculent pas à ton portique massif de bois.

De plus cela faisait quelques temps que tes combines commençaient à porter leur fruit et petit à petit le sceau d’Aranea circulait toujours un peu plus, enserrant plus la ville dans l’étreinte de ta toile. L’arrière-boutique commençait à trouver des candidates, tu les choisissais soigneusement et tu refusais que le travail soit mal fait. Ainsi tu t’occupais personnellement de la formation de tes petites protégées, et tu t’assurais avant tout de leur fidélité. Tu n’accordes pas ce genre de faveur à n’importe qui, et il y avait encore nombre de place à prendre.

Arachnée s’agitait, voilà une aura bien singulière qui s’approchait. Si brute, si forte, d’une intensité rare, ce qui démontrait d’une certaine force de caractère. Ange ou démon ? Et que venait il faire ici ? Si c’est encore pour me manquer de respect tu allais encore devoir corriger du divin pour le déjeuner. Décidément ils ont du mal à comprendre. Ce bar t’appartient, et tu ne vas certainement pas laisser un petit crétin bouffi d’orgueil te le prendre. En effet les divins étaient rares dans le coin, ici tu sers essentiellement des déchus en manque d’ambitions et de repères ainsi que des humains désabusés. La capacité des humains à s’adapter à tout type de situation sans presque se poser de question t’effarait. Beaucoup semblaient s’être simplement accommodés à leurs nouvelles vies ils ne cherchaient même pas forcément à s’enfuir ou partir de la ville. Pour eux c’était juste « comme ça ».

Mais revenons à notre démon qui se présentait maintenant sur le pas de ta porte. Tu entends les gonds grincés en signe d’ouverture. Le voilà qui s’aventurait sur ton territoire. Arachnée était sur la défensive, elle allait titiller l’aura du divin que tu sentais contenue. Il venait donc en paix ? Ce n’était certes pas le premier, mais ce n’était pas monnaie courante pour autant. Ton aura continuait de provoquer et de jauger l’aura de l’intrus. Celui-ci ne mouftait pas et se contentait d’avancer jusqu’aux sièges devant le bar. Il s’installa dans l’un d’entre eux.


Tu souris, un divin, pacifique, et en plus poli, décidément encore un peu et il allait se mettre à neiger.


Tu finissais une commande l’air nonchalant, que tu apportes à un client et tu revenais donc à cet hurluberlu qui ne semblait pas savoir dans quoi il avait mis les pieds. En effets, il n’y que deux raisons pour aller au Nocturne, si on a nulle part ailleurs où aller, ou si on cherche quelque chose de…particulier. A quelle catégorie appartenait l’homme, massif, au bruit du siège quand il s’est assis. Je reviens donc vers lui



La réponse ne se fit pas attendre.


Tu ricanais doucement à sa question.



Tu prends quelques secondes pour te concentrer sur l’individu accoudé maintenant à ton bar. Tu ne cherches rien de plus que les élémentaires politesse.

La barmaid lui adressa un sourire quand il la salua en prenant place sur l'un des tabourets hauts faisant face au comptoir. Il ne chercha pas à l'interpeller de nouveau quand il la vit affairée à finir de préparer et servir une commande à un client qui se trouvait non loin de là, patientant jusqu'à-ce qu'elle lui demande ce qu'elle pouvait faire pour lui, non sans le tutoyer au passage. Décidément, les tenanciers de bar étaient tous les mêmes et le démon sentit l'ombre d'un sourire tenter de percer au jour sur ses lèvres, le retenant afin de demeurer correct face à une personne dont il ne pouvait deviner les réactions. Le ricanement qui suivit ne manqua pas d'indiquer à Asen qu'il venait de demander quelque chose de particulier et, effectivement, celle qui s'occupait du bar se présenta comme étant celle qu'il recherchait. Ainsi était-ce elle, Casey Williams ? Sa réputation n'était sans doute plus à faire, mais le démon pour sa part préférait se faire sa propre opinion concernant celle qui, paraissait-il, tenait tête au Dragon ainsi qu'à tous ceux qui osaient créer le trouble dans son établissement. Avec le nom de ce dernier, il aurait dû se douter que la patronne était un être divin, mais la rencontrer elle, à cet endroit précis, dans ce contexte-là... était un hasard du Destin des plus amusants.

…Asen ? En quoi l’humble démone déchue, que je suis, peux t’aider ?

Le Dendrobate plisse légèrement les yeux, scrutant les lunettes de la voyante dont on disait qu'elle était aveugle, ce qui la rendait certainement plus redoutable encore, cherchant à son tour à l'évaluer durant deux brèves secondes avant qu'un fin sourire n'étire finalement ses lèvres. Nulle joie dans sa voix, cependant pour qui savait écouter, le ton calme et en apparence tranquille recelait des accents d'amusement intéressé, trahissant une curiosité piquée au vif.

- Vous êtes plus douée que je ne l'imaginais mais, sans vouloir vous offenser, je ne pensais pas que vous étiez la propriétaire de cet établissement. Je viens d'arriver et je suis en quête d'un emploi.

Nul mensonge dans sa voix, nulle tentative de dissimulation, rien que les faits, car les faits se suffisaient à eux-mêmes. Jetant un bref regard alentours, ses yeux se posèrent sur la carte des boissons qu'il parcouru rapidement avant de reporter son attention sur la propriétaire des lieux.

- Et pourquoi pas goûter une de ces boissons dont les gens d'ici sont friands. Je ne suis pas encore au fait de toutes les coutumes des Hommes.

Pris hors de son contexte, ce propos aurait pu sonner comme une référence au genre masculin, mais pour la démone déchue qui faisait face à Asen, il était évident qu'il lui livrait là quelques brèves explications sous couvert d'une discussion en apparence tout à fait banale et ordinaire. Un homme en quête d'un travail, n'ayant pas l'habitude des boissons des "vrais" hommes, mettant les pieds dans un lieu où il n'y entendait probablement pas grand-chose, n'étant guère habitué aux débits de boissons. Oui, vu de l'extérieur, pour un humain, cela semblait presque trop commun, un rien pitoyable, mais l'aura du démon, sagement maintenue à l'intérieur de son corps, n'en demeurait pas moins légèrement vibrante en disant ces mots, comme si la curiosité de son âme cherchait à se frayer un chemin sans attendre la fin de cet échange de politesses.

- Je m'appelle Asen Raum.

Acheva-t-il de se présenter, ne cherchant nullement à dissimuler son identité à celle qui, de toute façon, finirait bien par la découvrir tôt ou tard, que cela soit en lisant en lui ou en se renseignant par le biais de tierces personnes. Le bal était ouvert, les danseurs étaient sur la piste, il ne restait donc plus qu'à valser allègrement.

Sa politesse est admirable pour un être démoniaque, et ses manières sont des plus charmantes. Voilà qui changeait des barbares face auxquels Casey se retrouve habituellement confrontés. Même Dragon, qui est certes sobre, mais on ne peut pas dire que la politesse l'étouffe. Le venin de Kâa imprégnait chacune de ses paroles et teintait chacune de ses manière d'un relent putride d'agressivité qui prenait le nez des âmes les plus clairvoyantes. La diplomatie n'était pas l'atout du souverain, mais Casey n'avait pas souvenir que le dialogue était une qualité très prisée chez les démons. Leur nature impatiente et sauvage entrait en contradiction avec toutes forme de communications. Et trop peu avaient suffisamment d'honneur pour essayer de se comprendre à travers le combat. Chez les démons il n'y a pas d'Autres, seulement Soi, le manque de subtilité qui découlait de cette caractéristique innée rendait les démons à la foi prévisibles et fatiguant pour la plupart. Ainsi elle ne boudait pas son plaisir quand elle tombait sur ce genre d'exceptions. Après tout, elle en était un bel exemple.


Elle termina sa phrase par un petit rire espiègle. Casey avait volontairement omit de mentionner la dernière partie de la présentation du jeune démon. Pourquoi un démon voudrait il un emploi chez une déchue? Casey avait bien évidemment sa petite idée elle qui avait toujours réponse à tout, et son verdict était déjà rendu avant même que la partie ait commencé. Cependant elle comptait bien s'accorder le plaisir de jouer avec cette petite mouche qui a naïvement atterri sur sa toile. Arachnée était déjà prête à faire un festin.


La jeune déchue comptait bien se faire un plaisir de le servir, elle aimait son métier de barman. Elle entendait toutes sortes de choses et la mixologie était devenu un passe temps bien agréable en plus de la lecture. Elle s'attelait déjà à la tache préparant un alcool d'amande italien ainsi que du sirop de sucre de canne et du jus de citron. Elle mis le tout dans un shaker et commençait à secouer l'ustensile d'une main, tandis qu'elle préparait un verre dans lequel elle mis quelques glaçons qui sortaient du congélateur ainsi qu'un petit quartier de citron qu'elle préparait à l'avance. Une fois la mixture prête, elle versait le tout dans le verre.


Le démon s'était présenté, alors même qu'il savait que Casey avait déjà vu en lui. La plupart étaient déstabilisés, voir même agressif lorsqu'on faisait ce genre d'intrusions dans leur zones de confort. L'anonymat était une arme précieuse dans cette ville après tout. Le sang-froid D'Asen était assez impressionnant, cela elle devait bien le reconnaître. Par ailleurs il eut à peine finit sa phrase, que son cocktail était déjà servi.


La réponse l’intéressait évidemment, de plus certaines possibilités et manigances s'échafaudaient déjà dans l'esprit compliqué de la barmaid, cependant elle se gardait bien de le montrer, se contentant d'afficher cet air curieux et faussement intéressé. Elle savait pertinemment que s'il pensait avoir une chance, le démon serait plus enclin à partager éventuellement certaines informations, voire même inconsciemment. Une occasion pareille, ça ne se manquait pas. Et Casey le savait, après tout, si elle voulait que ses arrangements et divers magouilles restent profitables. Il fallait bien qu'elle soit au courant des éventuelles menaces qui risquent de planer au dessus de sa tête.

Si Asen haussa légèrement un sourcil en entendant Casey parler ouvertement de "démon" dans son établissement, ce fut cependant un léger sourire qui étira le coin de ses lèvres tandis qu'il continuait de l'écouter et de l'observer avec attention. Il savait que l'apparence était trompeuse, particulièrement chez les divins, cependant il ne pouvait pas lui dire qu'il l'aurait davantage vue en patronne régentant son propre petit coin d'univers que mettant la main à la pâte au sein de son propre bar. L'avait-il cru plus hautaine et dédaigneuse qu'elle ne paraissait l'être ? Sans doute, mais à bien écouter la déchue, il était certain de ne pas s'être tant trompé que cela, et cela ajouta à son amusement tant le début de cette danse lui plaisait déjà beaucoup. Le fait qu'elle ait repéré son statut de combattant ne l'inquiéta nullement, un démon qui ne savait pas se battre survivait rarement longtemps, à moins d'être un as de la manipulation. Dans son cas, sa carrure facilitait forcément l'attribution du statut de guerrier plus que de politicien, allez savoir pourquoi.

- J'oserais même ajouter que les plus belles sont les plus venimeuses, mais n'est-ce pas ce qui ajoute à leur charme ? La tentation de s'approcher pour les caresser n'en est que plus grande.

Le rire de la Patronne l'avait encouragé à se faire plus aimable et le Dendrobate continua sur sa lancée, allant jusqu'à donner son nom tandis qu'il observait avec attention et curiosité la boisson qu'elle lui préparait avec la force de l'habitude. Que voilà quelque chose qu'il avait toujours aimé, voir quelqu'un qui connaît son métier le faire vite et bien, sans loupé ni dérapage, au point que pas une goutte du précieux liquide ne fut perdue quand elle le lui servit dans un verre, la prestation lui tirant un hochement de tête satisfait. L'être méticuleux qu'il était appréciait grandement la précision des gestes qu'il venait de voir, tandis que le soldat avait immédiatement repéré tout le potentiel qu'une telle maîtrise laissait deviner derrière. Que voilà une déchue fort intéressante et diablement dangereuse à n'en point douter.

- Vous connaissez votre métier, c'est vraiment admirable.

Complimenta-t-il sincèrement, attirant le verre jusqu'à lui entre ses doigts, le tournant d'abord sur le comptoir pour le scruter avec une réelle curiosité. Il n'avait jamais entendu le nom de ce cocktail, encore une nouvelle chose qu'il se plaisait à découvrir dans cet espace ressemblant au monde des humains. Il songea que faire un petit tour sur Terre sera certainement la chose qu'il fera dès qu'il en aura l'occasion, en attendant cet endroit fera parfaitement l'affaire.

- J'en prend bonne note, je vais le savourer.

Il releva les yeux sur Casey, la scrutant avec attention tandis qu'il percevait très clairement, sous ses questions en apparence anodines, toute l'ambivalence de ses intentions qui ne laissaient que peu de doutes sur ce qu'elle pourrait faire des réponses qu'il lui apporterait. La danse était désormais lancée, leurs pas se calaient sur le rythme de la musique qui ne se jouait que pour eux, et Asen ne pu s'empêcher de soupirer légèrement. Mentir ne servirait à rien, cependant mieux valait s'assurer que Dragon n'ai pas d'oreilles en cet endroit, même si cela serait étonnant. Ainsi le démon se pencha-t-il légèrement vers l'avant, non sans avoir jeté un bref regard alentours, sa voix diminuant de quelques tons pour se faire un peu plus discrète.

- Et bien officiellement, je suis sensé m'intégrer dans cette ville, faire l'inventaire des anges qui s'y trouvent et m'assurer qu'ils ne causeront pas de problème aux plans de celui que je sers. Un travail dans un établissement où peuvent potentiellement passer ce genre de personne me serait utile et, vu ma carrure et ma capacité à garder mon calme, je pense qu'un job de videur/homme à tout faire pourrait convenir. On a toujours besoin d'une paire de bras en plus dans ce genre d'endroit. Officieusement...

Il baissa les yeux sur le cocktail devant lui, retenant un sourire qui passa comme une ombre sur ses lèvres, juste avant qu'il ne relève la tête vers Casey, son regard de glace se posant de nouveau sur elle.

- ... j'avoue que j'aimerais prendre le temps de découvrir cette ville. Il y a bien des choses que je ne connais pas, je n'avais jamais quitté notre monde et j'éprouve un étrange sentiment de calme depuis que je suis ici. Celui que je sers m'a appris que vous prôniez une pseudo neutralité qui lui déplaît, mais j'y vois là pour moi une excuse pour ne pas pouvoir agir en territoire neutre et ainsi pouvoir prétendre que vous me surveillez trop pour que je puisse faire mon travail aussi bien que ce qu'il attend de moi. Je suis peut-être un combattant, mais je ne suis pas non plus une brute sans cervelle.

Un sombre sourire étira cette fois ses lèvres et il se rassit un peu plus droit sur son siège, portant enfin le verre à sa bouche pour en savourer une gorgée, laissant un soupir de contentement lui échapper alors qu'il passait sa langue sur ses lèvres, récupérant le sucre qui s'y était attardé.

- Ah c'est délicieux.

Affirma le Dendrobate avec une satisfaction certaine, comme lorsque l'on vous promet une merveille et que celle-ci s'avère être à la hauteur de vos espérances.

- Mais que les choses soient claires entre nous cependant.

Asen se pencha de nouveau un peu, son ton était resté volontairement bas depuis qu'il avait commencé à s'expliquer sur ses motivations.

- Je ne le trahirais jamais et je ne rejoindrais jamais une autre cause que la sienne. Je profiterais certes de votre neutralité et de celui de cet endroit, mais ne vous attendez pas à ce que je change de camp ni que je déchois. Je veux juste être égoïste tant que je le peux et voir ce que cela fait de vivre autrement le temps de cette mission. Je ne vous causerais aucun ennui dans votre établissement et me plierait à vos règles au sein de celui-ci, mais cela s'arrêtera à la porte de cet endroit.

Le démon ne pouvait être plus franc et direct que cela. Bien sûr il y avait fort à parier que cela déplaise fortement à Dragon et que, "si" ou plutôt "quand" il l'apprendrait, il risquait fort d'entrer dans une grande colère et de lui faire payer cet affront à son autorité, mais le Dendrobate était prêt à prendre le risque pour pouvoir profiter un peu de ce que cette ville pouvait lui apporter. La guerre, le sang, la souffrance et la mort, il les connaissaient déjà, mais une vie calme et paisible, une petite routine, un animal de compagnie, un travail à peu près convenable, voilà bien des choses qu'il ne faisait que découvrir depuis son arrivée et, si jamais la Patronne de l'endroit acceptait de le prendre à l'essai, il pourrait alors s'essayer à une toute autre façon de vivre. Bien sûr rien ne durait jamais, mais qui ne tentait rien n'avait rien.

Asen pesait le pour et le contre. Après tout le démon devait des comptes à son souverain. Mais il savait qu’il allait t’en falloir plus pour te convaincre. Une tentative futile, bien qu’admirable. Cependant, une certaine forme de bêtise ou plutôt un défaut d’analyse de sa part te rendait bien service actuellement. Evidemment tu n’allais pas manquer de lui faire remarquer mais chaque chose en son temps. Tant qu’il aura l’espoir d’avoir une place dans ton établissement, il sera disposé à discuter. Alors pour citer un célèbre philosophe français, cultivons donc ce jardin. La critique de Candide ne t’a certes jamais échappée mais j’ai toujours pensé l’allégorie plus exploitable qu’une simple critique entre deux philosophes rivaux. La voix d’Asen s’était faite plus basse et plus discrète. Avait-il peur d’oreilles indiscrètes ? Qu’il est mignon, les oreilles les plus dangereuse ont pourtant toujours été les tiennes. Confiance ou Orgueil ? Dans tous les cas ce jeune homme faisait honneur à sa race. Ainsi qu’à sa profession.



Tu n'en montre pas une esquisse mais ce que tu entends te déplais fortement, et il te semble maintenant important de rappeler à ce bleu avec qui il essaye de faire affaire et dans quel endroit il se trouve. Cependant tu n’étais pas un monstre et bien que la colère te démangeât et que la garde de ta canne se trouvait non loin, tu vas d’abord essayer de lui faire comprendre gentiment. En espérant que son intelligence lui permette de saisir le sens de tes paroles, cependant plus tu l’entendais déblatérer son tissu d’âneries, plus tu en doutais.



Et voilà qui changeait la donne. Tu l’avais peut-être sous-estimé finalement, cependant tu gardais d’énormes doutes sur cet homme. Ce n’était pas une brute sans cervelle, mais ce n’était pas non plus un foudre de guerre. Après tout il était là à t’en parler ouvertement. Tu te demandais sincèrement ce qu’il espérait de toi ? Tu restais silencieuse, mais tes traits se durcissaient peu à peu, à mi-chemin entre contrariété et réflexion. Tu avais bon cœur mais tu n’étais pas stupide, ce que proposait le démon était un problème, pour toi, pour lui, même pour Dragon, il n’y avait un seul scénario ou pouvait sortir un éventuel vainqueur. Et il fallait maintenant le lui faire comprendre. Ton irritabilité légendaire te jouait encore des tours et t’empêchait de penser rationnellement, si tu t’écoutais tu te serais déjà chargée d’expulsé cet impudent hors de ton établissement à grand coups de pieds dans son arrière-train. Mais même toi devait l’admettre, sa politesse et ses manières auraient rendu l’acte, au mieux, barbare. Et si tu voulais prouver que tu vaux mieux que la plupart des engeances à la solde du mur de pierre qui leur sert de souverain. Tu dois te montrer meilleure. Le calme et la diplomatie était de mise, et la patience est une vertu qui te fait parfois défaut, pourtant tu allait devoir en faire preuve.



Et voilà qu’il te tirait de tes pensées. Quel goujat ! Mais il fallait voir le bon côté des choses, tu comprenais aisément que le breuvage que tu lui avais servi était à son goût, une chance diraient certains. De mauvaise langue un peu trop pendue qui faisaient mieux de se taire, voilà ce qu’ils étaient. Douter de ton expertise, plus le temps passait, plus c’était un pari qui se faisait risqué et dangereux.



Tu étais à l’écoute depuis le début. Cela n’allait pas changer.



Très bien, maintenant qu’il avait finis tu prenais un peu de temps pour réfléchir à comment lui répondre. Tu es tentée de te laisser emporter par la colère comme tu l’aurais fait à l’accoutumer mais cela n’aurait pas été juste.


La question était bien sûr plus rhétorique qu’autre chose et le ton était ferme. S’il ne comprenait pas le sens de ces mots, alors tu ne pouvais rien pour lui. Tu restais sur tes gardes, les démons ont le sang chaud et s’il faut que tu le corriges parce que son égoïsme l’empêche d’avoir un semblant de matière grise. Alors ainsi soit-il.

Elle l'avait écouté sans l'interrompre bien qu'il lui ait semblé percevoir un léger signe d'impatience, voir d'irritabilité, bien qu'il n'aurait pu le jurer. Le calme apparent de Casey était olympien et par bien des aspects cela lui rappelait le sien, à ceci près qu'ils n'avaient pas le même socle soutenant les leurs. Qu'à cela ne tienne, Asen apprécia de pouvoir terminer de parler franchement et sans détour, ne mentant à aucun moment ce qui, au vu de la réponse qui suivit, fut certainement ce qui lui évita une certaine déconvenue. Il ne doutait pas vraiment, si la barman était telle que les rumeurs le laissait entendre, qu'elle allait lui refuser le poste, cependant la façon dont elle le fit eut le mérite de lui plaire plus qu'il ne l'aurait cru.

Tu as joué cartes sur table, alors laisse moi en faire de même. Je n’ai aucune bonne raison de te prendre dans cet établissement. Premièrement, tu as déjà prêté allégeance à un souverain qui souhaite me nuire. Rien ne me dit que tu n’es pas là pour m’épier et si je te prends je n’aurai un contrôle sur ce que tu lui rapporteras. Ensuite, comme tu l’as si bien dit, ce bar est une terre neutre. Tu penses vraiment que prendre à mon service un agent de Dragon, qui veut littéralement se servir de mon bar comme plateforme d’observation, serait un gage de neutralité ? Enfin et le plus important, si tu ne comptes pas le trahir ne serait ce qu’un petit peu, alors tu n’as rien à apporter sinon tes deux bras et tes deux jambes. Et je peux t’assurer qu’il y a moult humains et déchus qui ont plus besoin de ce travail que toi. En plus si je me mets à la place de ton suzerain. Je ne pense pas être satisfaite d’un homme qui ne produit aucuns résultats sous prétexte de « elle me surveille trop » les excuses marchent un temps. Mais pour lui comme pour moi pouvons être d’accord sur ce point. Un outil défectueux se remplace. Alors pour gagner du temps pour toi, pour moi et même pour lui. Non je n’ai aucune raison de te prendre, tes intentions sont certes louables et ta volonté est touchante de vouloir en apprendre plus sur cette ville et ça je t’y encourage, tu seras toujours le bienvenu en tant que client. Et j’ai bien des services à proposer entre ces murs mais si tu cherches un travail pour en apprendre plus sur tes ennemis et t’en servir contre eux. Je ne peux te l’offrir ici. Ce serai aller contre mes principes et la vocation de ce lieu. Ai-je été assez claire ?

- Limpide, Patronne.

Répondit le démon avec un irrépressible sourire appréciateur au coin des lèvres, reprenant une gorgée du cocktail fort délicieux qu'il avait sous la main, hochant légèrement la tête à ses propres pensées.

- C'est un plaisir de voir que votre réputation n'est pas usurpée. Vous ne m'en voudrez pas d'avoir tenté ma chance, n'est-ce pas ? Cela dit pour rééquilibrer la balance, il aurait suffit que vous engagiez un ange en plus de me prendre à votre service, et l'équilibre aurait été maintenu, cela dit je comprends parfaitement votre réticence à avoir un serviteur de votre ennemi dans vos jambes.

Le Dendrobate reprit une gorgée de sa boisson, soupirant de contentement une fois encore.

- Croyez bien que je vais suivre votre bon conseil et en apprendre davantage sur cette ville tout en évitant d'être "remplacé". Je pense avoir une bonne marge de manœuvre pour le moment, l'avantage d'être un petit nouveau fraîchement débarqué.

Le sourire d'Asen disparu en partie cependant alors qu'il jetait un regard sur l'endroit, songeur.

- Dommage que mes bras et mes jambes ne suffisent pas, j'aurais bien aimé travailler dans un bar comme celui-là. J'en ai connu un certain nombre, mais celui-ci me plaît bien de ce que j'en vois.

Il reporta son attention sur Casey, l'observant avec un peu plus de gravité et d'intérêt, glissant avec légèreté son verre à demi vide entre ses doigts.

- Une idée sur un endroit où on pourrait embaucher un gars comme moi ? Je vous préviens, évitez de m'envoyer dans une infirmerie ou quelque chose comme ça, je ne suis pas très doué pour sauver des vies.

Plaisanterie de démon facile certes, ironique aussi sans doute, mais l'amusement perçait pourtant dans la voix de l'homme qui bu les dernières gorgées de sa boisson, hésitant à se recommander un autre verre.

- Quant à ces services que vous proposez, je suis à peu près sûr que cela exigerait que je trahisse, fut-ce indirectement et, de vous à moi, nous savons que je ne le ferais pas, alors il est inutile que je vous demande en quoi cela consiste.

Poussant doucement le verre vide en direction de la propriétaire des lieux, Asen posa ses coudes sur le comptoir et croisa les mains, y appuyant son menton d'un air presque décontracté, visiblement à l'aise au sein de cet endroit pourtant géré par une rivale de Dragon.

- Vous auriez un autre cocktail à me conseiller ?

Si tous les démons étaient aussi avenants, ton bar en serait bien plus calme. Mais est-ce une bonne ou une mauvaise chose, dur de trancher, après tout c’est quand même agréable de botter quelques fesses de temps en temps à des lourdauds qui le méritent.


Ce raisonnement est beaucoup trop simple pour qu’il ne soit pas erroné mais Asen n’est qu’un soldat, et tu as encore envie de jouer avec lui. Alors on lui pardonnera ce petit écart d’intelligence, de plus il a glissé un petit compliment et voilà qui nous contente malgré l’obséquiosité ronflante qui teinte son langage depuis qu’il est entré ici. Il est conscient qu’on sait déjà comment il parle quand il est sérieux ? Ou nous prend il sincèrement des idiots ? Mais bon c’est un signe de malice, et on peut respecter ça. Après tout, sa seule erreur est d’oublier notre omniscience, mais ce serai lui faire un mauvais procès que le lui reprocher. Après tout il n’est pas le seul à faire cet impair, et comme les autres il le paiera en temps et en heure, et vivement que ce moment arrive où nous nous en délecterons.


Qu’il fasse, qu’il fasse, en même temps il a tout intérêt à suivre notre conseil puisque nous sommes de bon conseil pour toutes les âmes qui pénètrent l’enceinte de ton bar. Quant à son soi-disant avantage, nous pouvons d’avance nous en amuser, avoir une longueur d’avance est une chose, savoir en profiter en est une autre. Mais jusqu’où le camouflage d’Asen peut-il aller ? Voilà une question qui mérite d’être posé, et dont tout le monde veut la réponse, surtout nous. Mais est-ce une sage décision ? Nous pourrions le forcer hors de ses gonds, mais ça ne nous apporterait rien. Sauf…oui ça c’est une idée qui peut se négocier.


Bien sûr qu’il lui plait, il aurait beaucoup de choses à rapporter à son maître s’il avait vent des ficelles tirées en ces lieux. Mais nous n’avons pas l’intention de laisser le Dragon poser ces griffes sur nos jouets. Il en a déjà de bien assez serviles comme ce petit soldat de plomb. En revanche s’il est assez bête pour les envoyer dans les crocs de l’araignée, bien évidemment qu’on va jouer avec. Aranea n’a d’yeux plus que sur le démon, curieuse de voir jusqu’à quel point le venin de l’arachnide va se répandre. Compte-t-il y échapper ? Permettons-nous d’en douter, il sait parfaitement à qui il s’adresse mais fait-il la même erreur que son maître ? Le pauvre risque de s’en mordre les doigts.


Rions à son trait d’esprit, bien évidemment qu’il n’est pas fait pour l’infirmerie, il manque pour ça d’humanité. Mais rentrons dans son jeu l’espace de quelques instants. Après tout, nous ne sommes pas en grief avec cette montagne de muscles. Il est poli mais son cerveau semble être à l’image de sa personne, un exécutant, ne méritant ni plus ni moins. Le genre de personne dont nous n’avons aucun intérêt à nous en encombrer, sa loyauté est déjà figée et quelle corvée cela serait de le baby-sitter à longueur de temps. Autant l’envoyer chez d’autres qui sauront bien mieux faire.


Encore une fois ricanons gaiement, réelle moquerie ou simple taquinerie, lui n’en aura jamais aucune idée. En revanche, nous savons parfaitement comment nous le voyons. Même si nos yeux sont vierges de toutes lumières à présent. Tu finis ton éclat par une simple sourire attendris. Tu as de la pitié pour ce démon, prisonnier de son univers étriqué, qui ne verra jamais plus loin que sa loyauté, définit au nom de quelqu’un d’autre. Est-ce une vie ? Lui te répondrait surement que oui, c’est tellement plus simple quand le fardeau de sa propre existence est transféré à un autre.

Cependant il n’était pas lieux de chômer, et déjà un autre client souhaitais commander son breuvage.


Nous nous délogeons de notre perchoir duquel nous dominons l’endroit. En effet le bar est inviolable et seules les personnes autorisées ont le droit de siéger derrière. Que caches le démon dans ses poches ? On le percute et hop, nos petits doigts agiles ont déjà fait le tour des poches extérieures de son jean. Il n'avait pas grand chose à notre grande déception.Soit il cache bien ses possessions, soit il est bien pauvre. La réponse dépend de la rigidité de son entraînement.


Le ton était sincère bien que légèrement amusé, ne perdant de la superbe ainsi que l’espièglerie qui nous habite. Le crime est parfait, ce n’est pas impossible qu’il ait senti le méfait s'il est si bien entraîné. Mais osera-t-il te confronter dans ton territoire ? Aranea ne décolle pas du démon, elle cherche de quoi jouer, et l'aura d'Asen pour l'instant est restée bien sage.

Elle souriait, elle riait même un peu, mais à aucun moment elle n'allait dans son sens et cela Asen l'avait parfaitement compris, il s'y était attendu, sachant pertinemment qui était Casey Williams et, bien qu'il ait une idée de ce dont elle était capable au vu de sa réputation, il était un adage qui disait qu'il fallait s'approcher de son ennemi pour mieux le connaître et le comprendre. Bon, de toute évidence et ce dès leurs premiers échanges, il avait été clair que jamais la déchue ne laisserait qui que ce soit l'approcher, ou en tout cas pas un démon comme celui qui lui faisait face, le genre fidèle et loyal à celui qu'il avait lui-même choisi, en toute connaissance de cause. Certains diraient qu'il était fanatique, mais à la différence de ces imbéciles qui adulaient le Dragon comme s'il pouvait faire pleuvoir le pouvoir suprême, le Dendrobate avait les pieds bien ancrés dans le sol et c'était là que résidait toute la différence. Il n'adulait pas le Dragon, bien qu'étant enfant cela avait été le cas, mais il le respectait et avait décidé de le suivre, d'abord pour certaines raisons aveugles, puis ensuite une fois qu'il avait ouvert les yeux en se débarrassant du carcan de sa jeunesse, pour des raisons bien plus terre-à-terre et, dirons certains, désuètes. Ainsi n'était-il qu'un pion sur un échiquier géant, ainsi en avait-il conscience et acceptait-il de jouer son rôle, délibérément, s'y complaisant et devenant ainsi plus efficace que ceux qui se bercent d'illusions de grandeur et de pouvoir. La preuve en était, le démon avait survécu à de nombreuses batailles et de périlleuses missions, tout ça dans le seul but de poursuivre sa voie et celle de son souverain. Face à la clairvoyante, un autre que lui, aveuglé par des rêves, aurait été facile à déstabiliser et à retourner comme un gant, mais il n'y avait rien à tirer de celui qui avait les yeux grands ouverts et c'était pour cela que le Lieutenant savait que jamais, quand bien même il avait tenté sa chance, il n'aurait pu obtenir un emploi chez l'une des rivales du Dragon. Mais bon, qui ne tente rien n'a rien, pas vrai ?

Si tu veux bien m’excuser je suis à toi dans quelques minutes.

- Bien sûr.

L'excusa-t-il avec un léger sourire, la regardant quitter l'arrière de son comptoir sans s'en inquiéter, tout du moins jusqu'à-ce qu'elle le percuta légèrement, lui faisant tourner la tête vers elle en plissant ses yeux de glace. Un éclat acéré y brilla soudain, immédiatement remplacé par un air amusé qui étira ses lèvres en coin. Oh il avait senti les doigts en quête d'éléments bien plus palpables que les mots et, bien qu'il ne fit pas un geste pour retenir la déchue, ce fut sans détour qu'il la fixa avec un air indiquant clairement qu'il n'avait pas été dupe.

Excuse-moi, je te pensais plus avancer que cela. Je peux voir beaucoup de choses mais il y a des choses contre lesquelles même l’entrainement et mes pouvoirs ne peuvent lutter.

- C'est normal puisque je viens d'arriver, vous n'avez pas encore eu le temps de faire des recherches poussées à mon sujet, tout comme je n'ai pas encore eu le temps de trouver un travail.

Elle avait dû sentir le trousseau avec seulement deux clefs et un anneau de métal rattaché à un morceau de bois taillé servant de porte-clefs, l'argent dans ses poches, un mouchoir de tissu plié en quatre et rangé avec soin dans la poche intérieure de sa veste. Il n'avait rien d'autre sur lui, rien qu'un homme venant d'arriver dans une ville pour s'y installer, en ayant tout laissé derrière lui, ne posséderait. Effectivement, la Patronne avait beau posséder de puissants pouvoirs, elle ne pouvait tout connaître si aisément. Son aura, par ailleurs, était passablement dérangeante pour le démon qui finit par soupirer un peu, comme se rendant à l'évidence au sujet d'une chose inévitable.

- J'aime assez nos échanges, Casey Williams, mais pourquoi ne posez-vous pas directement vos questions au lieu de tâter mes poches ? Ne vous ais-je pas répondu sans mentir depuis que je suis entré ici ?

Il chassa de la main la sensation d'Aranea sur lui, remuant l'épaule comme on le ferait en sentant quelque chose de dérangeant, quand bien même il continuait d'afficher un léger sourire amusé.

- A moins que vous n'ayez peur des réponses que je pourrais vous donner ?

Asen pivota sur le tabouret de bar, se tournant en partie vers Casey pour mieux l'observer, la fixant d'un regard plus brillant à présent. Les présentations étaient faites, ils pouvaient passer au vif du sujet si tel était le souhait de la déchue, le démon ne semblant nullement redouter cette confrontation qu'il était lui-même venu chercher, quand bien même le Dragon lui avait dit de se tenir éloigné de la clairvoyante.

Les Lois de la ville avaient été parfaitement retenues par Asen qui avait conscience de devoir les appliquer au pied de la lettre tant qu'il se trouvait dans l'enceinte de Damned Town. Les numéros quatre et cinq, notamment, avaient marquées son esprit avec un certain impact : "Il est interdit à quiconque de porter atteinte à la paisibilité et la pérennité de la cité" et "Il est interdit à quiconque de se livrer publiquement bataille au sein de la cité." Ne pouvait-on faire plus explicite ? Ainsi dans de telles conditions, n'était-il pas évident que se promener avec une arme équivalait à laisser la tentation prendre le pas sur la raison ? Quant à s'en prendre à Casey Williams, il fallait être fou ou bien stupide, ou suicidaire, pour croire qu'une déchue de cette importance, avec cette réputation et qui avait tenue tête à Dragon lui-même, était une femme que l'on pouvait oser menacer ici, sur le territoire que représentait son propre bar et sur lequel elle veillait très certainement farouchement. Il n'était nul besoin d'être démon pour être territorial et cela le Dendrobate le comprenait parfaitement, tout comme il su que le léger sourire coupable qu'elle arbora ne l'était pas vraiment, coupable. La situation l'amusait au moins autant que son client incongru, lequel la regarda reprendre place derrière son comptoir non sans lui offrir sur un plateau la possibilité de le questionner à loisir, allant même jusqu'à chatouiller sa fierté en laissant entendre qu'elle pourrait avoir peur, elle... elle qui était tout sauf démunie, et qui n'avait rien d'une simple aveugle à la merci du premier venu. Le Diable n'aurait pu rêver meilleure couverture que celle-ci.

Pourquoi ? Devrai-je craindre tes mensonges ? Ou peut être te faire confiance aveuglément ? Les démons ne sont pas du tout un problème d’ordinaire lorsque l’on est une déchue. Ils ne viennent jamais, absolument jamais armés et emplis de mauvaises intentions.

- Ni l'un ni l'autre.

Répondit-il aux premières questions bien qu'il se soit très certainement agit de rhétorique, le soldat notant dans son esprit l'information ainsi dispensée en toute volonté : d'autres démons venaient ici, jamais armés ni emplis de mauvaises intentions, mais certainement pas sans un but précis. Bien, voilà qui était déjà un début.

Tu as certes parlé sans mentir mais cela ne prouve en rien que tu es blanc comme neige. Si j’avais fait confiance à tous les démons que j’ai rencontré, sous prétexte qu’ils ne mentaient pas, j’aurais bien plus d’une lame enfoncée entre les omoplates.

Cette fois le Dendrobate ne pu retenir un léger rire sincèrement amusé, un son étonnamment clair et grave, non pas bruyant et sonore, mais presque paisible et doux, comme si ce n'était pas là une chose courante tout en étant quelque chose qu'il ne laissait entrevoir qu'en quelques rares occasions.

- Je ne suis assurément pas blanc comme neige, cela il n'est nul besoin d'être voyant pour le comprendre.

Nul besoin d'en dire davantage, ils se comprennent fort bien même s'ils ne viennent qu'à peine de se rencontrer.

Et puis…pourquoi me serais-je privée de tâter un corps si bien entretenu ?

Asen haussa un sourcil, voyant la déchue se pencher vers lui en lui faisant un clin d’œil par-dessus ses lunettes, l'ombre d'un sourire passant de nouveau au coin de ses lèvres l'espace d'une brève seconde.

- Flatteuse.

Est-ce que je peux encore faire quelque chose pour toi ? Je suppose que tu as quand même mieux à faire que supporter mes éternelles provocations. Je peux te resservir un verre ? Ou peut-être es-tu intéressé par mes marchandises…particulières…

Si le démon avait ouvert la bouche pour répondre en premier lieu, il marqua une seconde d'arrêt alors que son esprit recevait l'information sur des marchandises particulières et qu'il traitait alors celle-ci selon une infinité de suppositions quant à la nature desdites marchandises. Notant la brève seconde de silence, la propriétaire des lieux enchaîna sans attendre pour clarifier les choses.

Doucement avant de monter sur tes grands chevaux, petit soldat.

Évidemment, le contraire aurait été des plus surprenants au vu de ce qu'il savait déjà concernant cette femme, mais l'idée avait malgré tout eu le mérite de l'amuser de nouveau au vu du nouveau sourire qui avait voulu apparaître sur ses lèvres et qu'il avait chassé rapidement.

Il n’y a ici aucun sous-entendu, je parle purement et simplement de marché noir. Tu pourras trouver ici toutes sortes de marchandises introuvables autrement. Enfin tant que tu as de quoi payer, cela vaut aussi pour les informations. Nulle trahison ou fourberie ne te seras demandé, mais simplement de l’argent sonnant et trébuchant. Le métier de barmaid paye horriblement mal dans cette ville…

- C'est donc pour cela que vous n'embauchez pas de nouvel employé ? Il va donc falloir que je me renseigne au préalable sur l'état des finances des commerçants locaux si je veux avoir une chance de trouver un travail. En attendant je reprendrais bien un verre oui, j'aime assez l'ambiance dans ce bar.

Asen retourna son clin d’œil complice à Casey, bougeant légèrement sur sa chaise comme pour s'y installer un peu plus confortablement encore, appuyant ses avant-bras sur le comptoir en se penchant légèrement vers la déchue.

- Admettons qu'une fois que j'ai un travail, j'ai besoin d'informations ou d'un objet en particulier, quelles sont les limites que vous refusez de franchir et quels sont les tarifs que vous pratiquez ?

Il fit mine de réfléchir, son regard de glace se levant brièvement comme s'il cherchait un exemple avant de redescendre pour se porter sur la patronne, la fixant avec un vif éclat dans ses yeux clairs.

- Parce que même si tout se paie, dans ce monde comme dans les autres, tout le monde a ses limites. N'est-ce pas Casey Williams ?

La voix d'Asen s'était faite plus grave et sombre, telle l'obscurité qui tombait sur le monde à l'heure où le dernier rayon de lumière disparaît à l'horizon, tel le froid hivernal chassant d'une brise glaciale les derniers vestiges d'un automne encore trop doux. Les orbes claires fixaient à présent la propriétaire avec une patience et une détermination qui semblaient infinies, un calme imperturbable couvrant le tout d'un voile de paix trompeur. Le Diable n'aurait pu rêver meilleure couverture que celle-ci.