Beware the mountain beast - ft. Asen Raum

 

Deux jours s'étaient écoulés sans même que le temps ne sembla passer. Deux jours déjà que la Lune Rousse s'était achevée et Asen en était resté involontairement marqué, son esprit ressassant les évènements tout en se confortant dans l'idée qu'il n'y avait aucun doute permis quant à sa présence ici. Damned Town était une ville singulière où des forces dépassant la condition de divin étaient à l’œuvre, implacables et prêtes à tout pour révéler la vérité à ceux qui se voilaient la face, clarifiant les pensées autant qu'elles plaçaient face à des choix dont on pouvait ressortir grandi comme brisé. Le Dendrobate avait passé l'épreuve sans faillir, sa profonde conviction s'en trouvant renforcée, et pourtant à présent il songeait qu'il ne connaissait pas encore suffisamment cet endroit pour pouvoir agir efficacement, aussi avait-il décidé de changer de stratégie. Habillé d'un jean et d'un haut noir à manches longues à col, un long manteau l'enveloppait et le protégeait de l'air frais de la nuit où une lune ordinaire brillait dans le ciel d'encre. Si la forêt lui était désormais familière, ce n'était pas le cas des montagnes surplombant la ville qu'il entreprit de gravir peu après le coucher du soleil, appréciant le calme d'une ville endormie et d'une nature au repos capables de faire naître la quiétude chez le Lieutenant dont le pas, mesuré et régulier, lui permis de savourer cette montée pourtant bien longue et ardue, n'eut été son entraînement rigoureux. Ici les bruits de la civilisation disparaissaient au profit d'une vie plus discrète, les arbres semblant murmurer dans leurs feuillages alors que les animaux diurnes dormaient et que les nocturnes chassaient. Asen ne su combien de temps exactement cela lui pris d'arriver jusqu'aux hauteurs surplombant Damned Town, mais avant même d'apercevoir quoi que ce soit, ce fut un chant qui parvint jusqu'à ses oreilles, le faisant s'immobiliser en premier lieu, alerte et méfiant.


Fronçant les sourcils, le démon s'avança à couvert et aussi discrètement que possible, apercevant finalement ce qui ressemblait à un jeune homme assis en train de gratter les cordes d'une guitare, s'arrêtant aux derniers mots chantés. Allons bon, qu'est-ce que c'était encore que cet hurluberlu ? Les paroles prononcées laissaient à penser que l'individu venait d'être libéré de quelque chose, mais quoi, là était la question, cela dit il se trouvait pile à l'endroit où le Dendrobate voulait aller et ce dernier hésita. Devait-il attendre que l'individu ne se lasse et s'éloigne ? Et s'il demeurait sur place toute la nuit ? Hors de question de rebrousser chemin après une telle montée, surtout alors que le belvédère n'était plus qu'à quelques mètres et, avec lui, une vue imprenable sur l'horizon. Retenant un soupir, chassant l'espoir d'avoir un peu de calme ce soir, le démon sorti finalement du couvert des arbres, mains dans les poches de son manteau long, s'avançant vers les rambardes comme le simple promeneur qu'il était censé être. Rien ne l'obligeait à s'adresser au jeune homme et, plutôt que de le saluer, le Lieutenant se rendit jusqu'à l'un des points d'observation, laissant une distance de plusieurs pas entre lui et l'inconnu, son regard de glace se posant alors sur la ville en contrebas... magnifique. Son expression si grave se détendit légèrement alors qu'il admirait le paysage, sentant un calme salvateur l'envahir, ses certitudes s'ancrant profondément en lui alors qu'il repérait ici et là les différents quartiers de Damned Town, mais également les chemins menant aux extérieurs de la ville, à la forêt où il s'entraînait avec Alec... Oui, assurément, cette vision valait bien tout ce temps passé à grimper en pleine nature et le Belvédère était à la hauteur de ses espoirs.

 

 

« En effet. Cette nuit s’annonce comme salvatrice pour les pensées. J’imagine que le belvédère est un lieu propice aux âmes égarées ? »

Il l'a observé et a sourit, détournant son attention de lui pour regarder de nouveau la ville en contrebas. N'était-il donc pas inquiet d'être ainsi isolé avec un parfait inconnu ? Ne craignait-il donc pas pour son existence ou sa sécurité ?

- Parce que vous êtes égaré ?

La question n'en était pas vraiment une, car aux yeux du démon un déchu ne pouvait que l'être, égaré. Un divin perdu entre deux camps, incapable de faire un choix et de s'y tenir, incapable d'assumer ceux qu'il avait pu faire, d'accepter sa nature profonde et de la concilier avec ses souhaits véritables. L'on pouvait être un ange et massacrer des gens, on pouvait être un démon et en protéger, tout était question de paix avec soi-même et de quiétude de l'âme, et cet homme à l'apparente fragilité n'était pas en paix. Il suffisait d'entendre le chant qu'il reprit au bout de quelques brefs instants, ses doigts pinçant et grattant les cordes de sa guitare en une mélodie incarnant toute la portée de son désespoir et de la souffrance qu'il endurait. Fallait-il l'achever ? Mettre fin à sa peine ? Ou bien le laisser dépérir en une lente agonie jusqu'à-ce que son âme se soit entièrement consumée dans les flammes noires du néant ?


Asen hausse un sourcil et finit de s'approcher de l'inconnu aux cheveux blonds, plissant brièvement ses yeux gris tandis qu'il le surplombe de toute sa hauteur, alors que lui demeure assis à jouer et, l'espace d'une seconde, le temps suspend son vol, le monde retient son souffle, incapable de deviner ce qui va arriver. L'un des bras du Dendrobate s'avance lentement comme dans un rêve éveillé, la main approchant de l'épaule et... se pose doucement dessus pour éviter tout sursaut, la saisissant ensuite avec fermeté.

- Je serais vous, je descendrais de cette rambarde. Vous risqueriez de tomber avec les bourrasques traîtresses qu'il y a sur les hauteurs.

La voix calme, le Lieutenant ôta sa main de l'épaule pour mieux venir appuyer ses avants-bras sur la rambarde, son regard gris se détournant du déchu pour observer de nouveau, à son tour, la ville si tranquille en contrebas. Tout était si paisible, et pourtant cela lui donnait l'impression de n'être qu'une accalmie au milieu d'une tempête sans fin, un décor en carton-pâte dissimulant la réalité, de la poudre aux yeux pour aveugler les innocents, les inconscients et les imbéciles. Plissant les yeux, il sentit ses ailes fourmiller dans son dos au souvenir du col enneigé où il avait livré combat quelques nuits plus tôt. Le ciel était dégagé, tel un appel à s'élancer vers celui-ci, déployer ses ailes et voler sans contrainte, les faire battre furieusement pour aller aussi vite et aussi haut que possible, pour mieux ensuite se laisser glisser sur les courants aériens et savourer la véritable quiétude. Un soupir discret échappa à Asen dont le regard se tourna vers le quartier des démons et le palais de Dragon, plus loin là-bas au milieu des bâtiments plus communs. Le Roi dormait-il par une aussi belle nuit ou bien ses pensées étaient-elles également tournées vers le travail et leur mission ? A quoi pouvait-il bien songer lorsqu'il était seul dans son bureau ? Autant de choses que le Dendrobate n'avait pas besoin de savoir, mais qui ce soir venaient effleurer son esprit en une curiosité qui lui était propre. La présence d'un déchu à ses côtés, en revanche, lui rappelait davantage ce que feu son Père se plaisait jadis à lui répéter, et le démon tourna soudain la tête vers le blond, le fixant d'un air indéchiffrable, ses yeux gris brillant d'une vive lueur acéré et mortelle, même si elle ne lui était pas destinée. Il se souvenait de la fois où il était tué son premier déchu, puis son premier chasseur, et l'impression de vide que cela avait fait naître face à sa propre crédulité. Seuls les champs de bataille avaient fait disparaître cette sensation, chassant la jeunesse pour laisser place à un adulte redoutable avide de sang et de victoires, qui à présent fixaient un inconnu en se disant que ce dernier avait de la chance de ne pas l'avoir rencontré à cette lointaine époque.

 

S'était-il inquiété de voir un déchu juché sur une rambarde, à la merci de la première bourrasque ou de la première personne mal intentionnée qui passerait par là ? Asen haussa un sourcil face aux mots de l'homme, car il constata qu'il n'en était rien, ou tout du moins pas dans le sens bienveillant de la chose. Le combat qu'ils menaient ici consistait à faire pencher la balance des âmes en leur faveur, et un égaré était plus malléable qu'un divin angélique, une potentielle recrue infernale à qui il convenait de laisser la chance de prouver qu'elle pouvait faire pencher la balance en leur faveur. Reculant d'un pas pour le laisser descendre de la rambarde, le Dendrobate l'observa avec attention tandis qu'il affirmait avoir trouvé le chemin qu'il souhaitait suivre. Ah oui, vraiment ?

- Et quel est-il ?

Questionna tout naturellement le Lieutenant qui songea qu'il allait être fixé plus vite que prévu sur la voie empruntée par le blond et le sort qu'il devrait potentiellement lui réserver. Ah, décidément, voilà bien un jeu mortel bien trop calme que celui où nul sang n'était physiquement versé.

« Et vous ? Je n’imagine pas un instant que vous soyez du genre à perdre de vue votre objectif, me tromperais-je ? »

Se plaçant dos à la rambarde, le déchu darda sur lui un regard qui déplu immédiatement au démon, lequel reconnaissait là une capacité de réflexion dans l'emploi des mots et une détermination qui était tout sauf égarée. Une alarme l'incitant à la prudence s'alluma dans son esprit et ce fut finalement un léger sourire indéchiffrable qui étira les lèvres fines du divin, lequel avait lentement remis les mains dans ses poches en une attitude faussement décontractée.

- En effet, je n'aime guère me laisser porter par le courant, je préfère voguer à ma guise.

Et suivre le chemin qu'il préférait, fut-ce dans les traces d'un autre, mais cela il n'était nul besoin de le préciser car cela ne regardait pas son interlocuteur et Asen percevait très clairement une menace sous-jacente derrière cet échange qui prenait une tournure pour le moins intéressante.

- Cette ville est idéale pour faire son propre chemin, tout y est possible pourvu que l'on sache ce que l'on veut.

L'aura du Dendrobate demeurait dans l'enceinte de son corps, parfaitement dissimulée, et pourtant à présent qu'il s'était approché du déchu, elle vibrait d'une énergie nouvelle en sentant la proximité de ce divin égaré, cherchant à trouver la bonne fréquence qui ferait que son propriétaire l'autoriserait à sortir, à l'image d'un vent poussant doucement contre des fenêtres dans l'espoir qu'on les ouvre pour le laisser entrer, ou en l'occurrence ici, sortir, de la même façon que l'instinct du Lieutenant lui soufflait qu'il devrait décapiter le blond, là maintenant, là tout de suite, alors que rien ne semblait laisser à penser qu'il soit une menace. Étrange que cette rencontre, très étrange.

 

« Quel est-il du chemin que j’ai choisi ? C’est très simple, je veille nuits et jours à éviter les chemins vers lesquels l’on souhaiterait me pousser. Je n’ai plus rien à prendre, si ce n’est ma liberté. Oui, c’est peut-être cela mon chemin, celui qui me mène à ma liberté. »

C'étaient là de sages paroles qu'Asen ne pouvait que comprendre et partager, lui qui avait emprunté son propre chemin pour gagner sa liberté, avant de la mettre au service d'un autre qu'il avait lui-même choisi. Les suiveurs aveugles n'étaient bons qu'à celui, suivre et obéir aveuglément, sans se poser de réelles questions, sans savoir si c'était véritablement ce qu'ils voulaient, mais le Dendrobate, lui, savait parfaitement ce qu'il faisait et pourquoi il le faisait. Nul doute qu'un imbécile oserait dire qu'il était dévoué au Dragon, quand un sage avancerait plutôt qu'il avait embrassé sa cause, mais les deux auraient à la fois raison et tort, car c'était en vérité bien plus simple et complexe à la fois.

« Quant à vous, vous êtes si sûr de vous, je vous envie sur ce point. J’imagine que vous savez exactement ce que vous voulez. Peut-être même l’avez-vous déjà trouvé, auquel cas vous m’en voyez satisfait. »

Le démon ne chercha pas à retenir l'ombre de sourire qui apparu au coin de ses lèvres et qui lui donnait l'air plus inquiétant qu'autre chose, bien qu'il ne chercha pas à l'être à cet instant. Son regard gris glacial brillait d'un éclat vif et acéré, pourtant il n'avait pas pris ombrage du ton légèrement moqueur, car il savait que cela ne lui était pas personnellement destiné. En revanche quand le déchu s'avança, le Lieutenant demeura d'un immobilisme trompeur tandis que chacun de ses muscles se préparait à une attaque, ses sens aux aguets au cas où une menace surviendrait de face comme d'un de ses angles morts. La main qui se leva lui fit plisser les yeux et ce fut comme si d'un seul regard il aurait pu tuer le blond sur place, lui interdisant tout geste inapproprié sans même prononcer le moindre mot. La main se rétracta et Asen capta le frissonnement chez son vis-à-vis, le scrutant alors avec une autre idée en tête, se concentrant non plus avec ses sens ordinaires, mais avec cette capacité qu'on tous les divins de ressentir les auras des autres... et ce qu'il perçoit l'intrigue autant que cela l'attire.

- Avez-vous froid ?

Demanda le démon alors qu'il laissa son aura s'exfiltrer lentement de l'enceinte de son corps, se mêlant à l'air ambiant comme un vent d'hiver qui viendrait vous surprendre au détour d'une brise un peu trop fraîche. Elle glissa sur la peau du déchu, la caressant, évaluant cette ouverture qu'il avait laissé, puis se mit à virevolter autour de lui en un tourbillon plus marqué qui s'intensifia de secondes en secondes, laissant croire que la température allait chuter dangereusement. Immobile, ses yeux clairs fixant le blond sans ciller, le Dendrobate laissa son aura prendre de la vitesse avant de soudain s'engouffrer dans la brèche laissée ouverte, écartant les pans du rideau, chassant l'air qui se trouvait dans l'enceinte de cette maison depuis trop longtemps, lui donnant un nouveau souffle tout en bousculant les tableaux sur les murs, claquant les portes restées entrouvertes, s'installant l'espace de quelques secondes dans l'endroit, occupant la place comme lorsque l'on aère une maison pour en renouveler l'air et se sentir plus vivant, plus éveillé, jouant à tourner autour de celle qui était normalement chez elle et qui l'avait laissé entrer, comme deux chats qui courraient autour d'une table au risque de renverser le vase qui se trouvait au bord... Puis l'aura se retira soudain, quittant la place plus vite encore qu'elle n'y était entré, caressant une dernière fois la peau du déchu, s'attardant sur son visage avant de retourner s'abriter dans l'enceinte du corps du Lieutenant qui n'avait pas bougé durant tout le processus. Les mains dans les poches, l'air calme et maître de lui-même, il eut pourtant un léger sourire plus amusé au coin des lèvres. Il n'avait pas pu évaluer la nature originelle de ce déchu, mais il avait perçu certaines choses des plus intéressantes qui avaient avivées sa curiosité.

- Je me demande si tu es un fou inconscient ou un optimiste aveugle pour t'être ainsi laissé faire.

Un propos franc et direct, énoncé d'une voix tranquille et grave, avant que Asen ne s'approche finalement, franchissant la distance qui les séparaient pour s'arrêter à deux pas à peine de celui qu'il domine de sa taille, dardant sur lui un regard gris à l'éclat brillant d'intensité.

 

Il a froid, et cela ne fait que s'étirer un peu plus le sourire du démon qui observe le déchu avec un air qu'on pourrait croire méprisant, mais qui n'est que le reflet de son tempérament joueur et cruel, de cette part qu'ils possèdent tous et qui les poussent à agir sans prendre en compte la volonté d'autrui, juste parce qu'ils en ont eu envie, juste parce qu'ils le pouvaient et qu'ils en ont profité. L'aura est retournée se tapir dans l'enceinte de son corps, tournoyant à l'intérieur comme pour éliminer les derniers vestiges d'un amusement qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps, l'entraînement n'étant pas la même chose, de toute évidence. Le blond frotte ses bras pour se réchauffer et Asen hausse un sourcil en voyant cette expression mesquine, quoique mal assurée, apparaître sur ses traits alors qu'il parle d'être un gentleman et de lui prêter son manteau. Le terme avec lequel se qualifie son vis-à-vis, surtout, fait briller un éclat vivement amusé dans les prunelles grises alors que le silence s'étire durant plusieurs secondes qui semblent durer une éternité.

- Tu es aussi naïf que je suis gentleman.

L'affirmation tombe comme un couperet bien affûté, tranchante à souhait alors que le Dendrobate se penche lentement vers le déchu, son sourire glissant au coin de ses lèvres en une provocation moqueuse évidente. Il a perçu la faille, cette petite brèche qui n'est pas simplement due à la température extérieure qui n'est pas aussi froide que cela, n'eut été son aura avec laquelle il avait fait des siennes. Après le tutoiement, ce fut au tour de proximité d'être imposée, la distance séparant leurs deux visages se réduisant à quelques centimètres, à peine une dizaine, telle une provocation de plus alors que l'aura du Lieutenant vibrait dans l'enceinte de son corps, percevant la proximité de celle avec laquelle elle avait joué juste avant.

- Je connais bien des moyens de se réchauffer, mais prêter mon manteau n'en fait pas partie.

Souffla Asen d'une voix basse et grave, haussant les sourcils d'un air équivoque et entendu avant de se redresser, dépassant alors le déchu pour le contourner, le détailler des pieds à la tête avec un regard d'examinateur attentif, exactement comme l'avait fait le vent glacial de son aura un peu plus tôt, revenant s'arrêter face au blond en laissant celle-ci sortir lentement, lui donnant toute latitude pour virevolter autour d'eux comme un halo invisible à des yeux mortels et pourtant bien présent, presque palpable.

- As-tu un nom ?

 

L'avait-il confondu avec un ange pour croire qu'il allait lui prêter son manteau aussi facilement ? Pour autant, loin de se vexer, c'est un rire qui échappe au déchu face à leur proximité presque tentatrice, lui qui n'est pourtant pas dupe quant à ce jeu qui s'instaure entre eux. Le sous-entendu pourrait tout aussi bien être une menace qu'une invitation, tout dépendant totalement de la façon de l'interpréter, mais Asen pour sa part se redresse et se met à tourner autour de cette cible qui n'en est pas vraiment une, pas encore tout du moins, percevant l'aura qui s'échappe à nouveau du blond qui s'en drape comme pour se protéger de lui, du froid qui l'accompagne dans chacun de ses gestes et de ses approches, jusqu'à-ce que finalement la question ne soit posée, celle qui tend à briser l'inconnu pour mettre un nom sur les deux êtres qui s'observent avec acuité.

« Toi qui semble si sûr de toi, quel nom me donnerais-tu ? Moi, je pense que l’on t’a attribué un nom court avec des sonorités marquantes. Oui, quelque chose comme Blaise ou Dante, cela t’irait à merveille. »

L'amusement est partagé, alors que le Dendrobate laisse ses lèvres s'étirer une fois de plus sans laisser filtrer le fond de sa pensée. Il est vrai qu'on avait failli le nommer ainsi, et pourtant ce n'est pas cela qui lui vient en premier à l'esprit, mais plutôt ce qui lui fut attribué bien plus tard par ses frères d'arme, ceux qui le connaissent suffisamment pour voir au-delà du nom qui lui fut donné à sa naissance.

- Un nom court également, quelque chose qui tranche avec cette apparence que tu sembles entretenir, quelque chose de marqué, peut-être même un peu sec selon comment on le prononce.

Le rire du déchu résonne de nouveau et le démon l'observe alors qu'il remonte sa capuche pour se réchauffer un peu, ses yeux disparaissant à demi dans l'ombre de celle-ci, faisant se plisser les yeux du Lieutenant qui lève le nez en l'air, observant le ciel et évaluant la température de l'air nocturne. Le soleil est couché depuis un moment maintenant, le froid commence à prendre ses quartiers et cela ne va pas aller en s'améliorant. Reportant son attention sur le blond, Asen l'observe avec une vive attention, son regard gris brillant d'une lueur indéchiffrable.

- ... Astor.

Lâcha-t-il d'une voix grave en défaisant une manche de son manteau qu'il fit glisser de ses épaules, l'ôtant pour le tendre en direction du déchu qu'il fixa de ses yeux clairs aussi froids que son aura qui revint se mêler à celle du blond, s'amusant à tournoyer avec comme pour reprendre le jeu là où elles l'avaient laissé à l'intérieur de l'enceinte du corps du déchu. Le manteau était lourd et épais, d'une laine noire finement tissée aux mailles solides, le genre qui pesait forcément sur des épaules moins larges, mais qui avait le mérite de tenir chaud. Le divin pour sa part portait en-dessous un pull noir à col montant et aux manches longues, de quoi le prémunir encore pour quelques instants des températures extérieures qui ne semblaient pas l'affecter, tout du moins en apparence.

- Alors, quel est ton nom ?

Redemanda le dénommé Astor, celui que ses frères d'arme avaient surnommé ainsi pour différentes raisons, même si c'était notamment en référence à Alastor, l'exécuteur des hautes œuvres à la sévérité aussi légendaire que son côté implacable. Laissant le manteau entre les mains du blond, le démon enfonça ses mains dans les poches de son pantalon, demeurant droit et fier comme si le froid ne cherchait pas déjà à se frayer un chemin jusqu'à ses os. Qu'il essaye donc, il faudrait plus que quelques secondes avant d'y parvenir. L'aura démoniaque pour sa part continuait de tournoyer avec son compagnon de jeu, se laissant quelque peu aller au point de former un tourbillon de plus en plus fort et puissant autour des deux propriétaires, les isolant à demi des alentours immédiats, comme pour permettre que cela continue ainsi aussi longtemps que possible.

 

Il le voit s'enrouler dans le manteau comme on le ferait d'une couverture, s'emmitouflant dedans pour mieux humer l'odeur qui s'y trouve sous le regard plissé et scrutateur du propriétaire qui ne bronche ni ne bouge pas face à ce spectacle. Asen se demande, à le voir inspirer de la sorte, s'il est réellement en train d'enregistrer son parfum naturel de la même façon que leurs auras sont en train de jouer autour d'eux comme si c'était là une chose commune et acquise, bien que le nom qu'il donne au déchu ne semble pas convenir à ce dernier et qu'intérieurement l'homme s'en amuse : s'il connaissait son véritable prénom, il ne trouverait pas que celui-ci reflète son apparence, sa mère ayant voulu quelque chose d'étrangement doux comparé aux sonorités marquées comme Astor ou Dante. Finalement l'homme aux cheveux blonds lui révèle son propre nom et le démon cherche rapidement dans sa mémoire s'il avait eu une information précise concernant un déchu s'appelant ainsi... mais non, cela ne lui dit rien au premier abord, cependant il lui faudra faire un rapport à Dragon pour l'avertir de cette rencontre inattendue et relativement... singulière.

- Je trouve que oui.

Affirma Asen à la question de Luke, trouvant effectivement que cela lui allait bien malgré le fait qu'on associe ce type de sonorité à quelqu'un de plus impressionnant, ce qui ne voulait rien dire pour autant puisqu'il ne connaissait pas ce déchu qui lui faisait face, hormis ce qu'il voulait bien laisser voir de lui. Son regard clair l'observa avec une vive attention tandis que le blond levait les yeux vers la lune qui se révélait à eux, dispensant sa lumière blanche sur l'endroit, éclairant le Belvédère d'un halo presque irréel qui laissait une étrange sensation, celle que la ville et les terres alentours appartenaient au monde des mortels bien qu'il n'en fut rien. Trompeuses apparences.

- As-tu encore froid ?

Collées l'une à l'autre, les auras vibrent sur une même fréquence, celle du blond demeurant collé à lui tandis que celle du Démon se plaît à s'y frotter, comme deux félins cherchant la proximité alors que leurs propriétaires, l'un en face de l'autre, se toisent du regard sans franchir le court espace d'à peine deux pas qui les séparent. Il suffirait d'un geste pour que le Dendrobate saisisse cette gorge et ne la broie, d'un geste pour que sa main empoigne la nuque du déchu pour l'attirer à lui, d'un coup donné avec une impulsion suffisamment forte pour l'éjecter en direction du rebord surplombant le vide... Tous les scénarios sont possibles et, durant cet instant suspendu, le regard clair d'Asen plonge dans celui de Luke en se demandant ce qu'il devrait faire avec lui. Tourner simplement les talons ? Agir ? Il ne peut juste l'ignorer, son aura vibrant autour et contre eux, réclamant une attention nouvelle, se plaisant à jouer et virevolter avec celle du blond, tel un félin sauvage prenant en affection un chat qui aurait quitté l'abri d'une maison pour explorer le monde. C'est ainsi que le démon demeure immobile durant cet instant suspendu, leurs silhouettes baignées d'une lumière blanche pouvant paraître aussi chaleureuse que glaciale, comme attendant de voir ce que le déchu allait faire avant de se décider lui-même.