EVENT - Les Illuminés ☼ [Ft. Maximilien BLAKE]

Une nouvelle fois, vos yeux butèrent sur cette curieuse créature que vous n’arrêtez pas de croiser. Soigneusement vidée, de larges yeux en arcs de cercles surplombent une bouche édentée d’où s’épanchent de virulents rayons jaunâtres. Ce maigre et farfelu éclairage ne manque pas de rehausser le teint marqué de cette cucurbita pepo entièrement dénaturée. D’une passive et douce prétendante à de délicats potages, voilà la forme qui se meut dans le crépuscule, endossant les rôles sombres que la culture humaine a pu lui dégoter.

Depuis votre découverte de cette fête mystique, vous ignorez les raisons profondes de la ténacité des humains à perpétuer cette tradition déformée par les années. Célébrer le Saimhain et sa connexion avec l’Autre Monde en se glissant dans les bottes d’une peau durement cousue et souvent perfectionnée jusqu’à faire frissonner…. Quelle idée saugrenue !

Des dix minutes que vous avez parcourues entre votre Palais et la lisière de la forêt, vous n’avez pas cessé de croiser ces reflets floutés du monde que les Terriens cherchent tant bien que mal à approcher. Leur envie de vous découvrir vous donne le sourire et vous attendrit, vous ne pouvez le nier. Au contraire, vous trouvez touchante l’insouciance qui se dégage des festivités noyées dans la nuit noire qui a levé le voile sur la cité . Vos poumons inspirent l’air frais d’Octobre, revigorant les idées qui vous appellent au dehors à cette heure si tardive.

Votre horloge interne vous indique qu’il est l’heure d’aller se glisser sous la couette mais une étude de terrain vous maintient éveillée. Trop attirée par cette volonté que possèdent les humains à chatouiller ces physiques parallèles, vous cherchez cette année encore à mettre en lumière les éventuels signes qui pourraient les conforter dans leur idée. Vos connaissances de la divinité menacent évidemment de vous leurrer, mais vous vous contentez d’hausser les épaules bien naïvement. Vous n’en avez que faire. Ce petit jeu d’enquêtrice vous amuse, et au-delà du fait de chercher à creuser des questions de sociologie humaine, votre Palais se complairait bien de quelques notes sucrées. Petite, vous détailliez déjà les lourds ouvrages de la Bibliothèque, ceux où les enfants étaient schématisés, immortalisés par ce sourire si gai, ce panier si plein de bonbons alléchants.  

Ce souvenir vous donne envie de vous faire plaisir et la politique est en de ce fait légèrement mise de côté.


Vraiment ? Alors, ma Reine, comment expliquer ce drapé éclatant qui vous recouvre élégamment ? Plongée dans le passé comme vous l’avez été, vous avez fait confectionner à Elsa une longue toge ceintrée, agrémentée de dorures soigneusement travaillées. Loin de vous l’idée d’éclipser l’événement de la soirée et les ténèbres qui menacent d’avancer. Vous désirez simplement être fidèle à votre nature, sans vous cacher.

Je dois bien admettre que vos ailes synthétiques reproduisent à la perfection cette nature dépeinte que vous camouflez. Pour un peu, j’en aurais oublié vos parures d’origines.

Craaac…

Mais nous parlons trop.. Voilà déjà quelqu’un qui arrive ! Prudence est mère de sûreté…

Dans la pénombre d’une lune émiettée par les nuages, un visage blafard apparaît dans votre champ de vision. Intrinsèquement, votre corps se contracte, sur le qui-vive à la vue de cette silhouette sortie de nulle part. Dans sa démarche pourtant, rien ne pourrait être qualifié de menaçant et vous comprenez alors que l’individu masqué qui vous approche n’est sûrement nul autre que votre partenaire de la soirée. Un sourire vous illumine et vous vous avancez vers lui, les fougères venant vous caresser les chevilles.

Une fois à sa hauteur vous lui tendez une main cordiale, prête à enserrer la sienne pour une première prise de contact. Mais ce sont des manières bien plus distinguées qui vous accueillent en retour. Fort surprise de tant de distinction, vous répondez en miroir à sa révérence, le qualifiant de votre regard le plus chaleureux. Dans son flot de paroles, vous distinguez l’euphorie qui l’anime et le fait danser à vos côtés. Ce côté feu follet vous plaît et désireuse de l’entretenir, vous vous contentez d’une phrase sertie de simplicité dont la probité malicieuse se désirait engageante.

« C’est un honneur partagé, Mr Blake. J’espère que votre intégrité ne craint pas les jeux de clair / obscur. »

Vos yeux détaillent tout en parlant les lieux qui vous entourent. Depuis votre arrivée, le couvert de la forêt n’a pas bougé. Nul vent n’agite les feuilles, et l’habitat respire la tranquillité, spectateur apaisé contemplant l’agitation que ses voisins veulent projeter en ces lieux. Puis soudainement, votre attention décroche, attirée par de petits mouvements. De la poche rougeâtre de Maximilien viennent de s’échapper deux petits chenapans, se roulant déjà copieusement dans la gadoue du bas côté. Déjà, une petite araignée gloutonne se jeta sur eux. La défiguration subie par les bonbons vous ramena lentement au bruissement du tissu porté par l’humain à vos côtés. Vous trouvez son choix de costume pour le moins nuancé, avec son lot de noirceur et de luminosité. Ce savoureux mélange de menace et de nostalgie vous incita à glisser une petite plaisanterie, aussitôt réhaussée de l’intérêt de vote mission.

« Rassurez moi, vous n’êtes pas venu ici pour me hanter ? Je n’ai nulle loge à vous réserver. Par contre, nous allons un peu déchanter de la surface à ratisser pour trouver nos bonbons... Je doute que nous trouvions grand-chose. Mais puisque nous nous trouvons dans cette ambiance si particulière, pourquoi ne pas l’entretenir durant notre recherche ? Connaîtriez vous quelques histoires rattachées à la tradition de Samhain ? Quelques cas historiques qui vous paraissent appropriés pour faire doucement frissonner ? Puisque votre âme erre sur cette Terre dans l’espérance de transcender. »

Vos pas se poursuivent dans de menus craquements souligné par le hululement de vos musiciens de la soirée. Vous doutez sincèrement que le mystique croisera votre route ce soir, bien que votre cœur ne cesse de battre pour l’inverse. Dans vos oreilles se joue la danse macabre de Camille Saint-Saëns, dont vous ne manquez pas de fredonner une  partie.

Un froid polaire s’abattit sur les alentours, recroquevillant les feuilles agonisantes sur la terre battue. De cette ambiance oppressante, vous n’en ressentez pas encore le péril, car le danger est ailleurs.
Peut-être réside-t-il dans la chaleur qui vous entoure, insistant pour vous palper ? Vous n’avez pas le temps de vous méfier, pas même le temps de réfléchir, que vous vous retrouvez entraînée dans une danse que le fantôme seul s’est décidé à former. Le rythme n’est connu que de lui, et la discordance première qui unit vos pieds peine à trouver le chemin de l’amélioration.

L’araignée velue tirant les fils remonte le long de votre rachis, chatouillant transitoirement votre lobe d’oreille nacré. Un frisson vous parcourt mais vous n’êtes pas au bout de votre peine, ma Reine. Le voilà déjà remplacé par une nouvelle étuve, plus ardente encore : une paume s’est infiltrée le long de votre cuisse à même votre peau et vous n’appréciez que très peu ce contact que vous n’avez pas demandé. Votre main manque de fuser, pour recadrer l’effronté qui ose ainsi vous manipuler, en pleine bois, là où personne ne vous entendrait crier.

Vous hésitez, débattant du bien-fondé du pacifisme, et l’occasion en profite pour se dérober à votre panel de possibilités. Le malotru s’est déjà éloigné, sa danse s’étant terminée. Ce trop plein de moiteur vous quitte brusquement, vous plongeant dans une suite de tressaillements.

Vous tournant le dos sommairement, son masque laiteux finit par luire à nouveau dans la nuit, les ombres se mouvant fugacement sur ses trais parfaitement tirés. La couleur sanguine de son apparat se transforme soudainement, sans crier gare, en série de boyaux, entrelacés, dans lesquels traversent les restes humains de pauvres âmes condamnées en de réguliers froufrous désordonnés. Des êtres qui n’ont rien demandé, avalés par l’excès de cupidité de cet amas de chair dont l’estomac demeure en perpétuel agrandissement. La gelée que ces pratiques peuvent projeter a d’ailleurs fait bleuter vos lèvres, et votre souffle se cristallise à chaque expiration. Pourtant, votre regard ne faiblit pas. Vous gardez pendu à votre regard le monstre que vous venez d’invoquer. Avec fascination, vous l’observez, remontant le long de ses doigts longiformes où vous projetez le tranchant des griffes que vous imaginez.

En un murmure, vous reconnaissez cet esprit traditionnel que vos souvenirs vous font parvenir et comme pour attester de sa réalité, vous le formulez.

« Wendigo… »

Un long silence suit votre déclaration, votre solo vous ayant lentement éloigné de la perspective d’une réflexion collaborative. Mais vous êtes parvenue là où vous vouliez en arriver, et vous concluez aisément.

« N’est monstre que ce que nous percevons comme tel, Mr Blake. »

D’un battement de cils, vous faites disparaître la noirceur dans laquelle aurait pu vous projeter ce moment, refusant de revenir sur les théories de psychoses associées. Vous étiez venue en quête de spiritisme et de bonbons mais leur absence vous pousse à tester de nouveaux terrains.

« Croyez vous au Sidh? »

La réponse formulée à votre question ne vous surprend guère et il aurait été bien inhumain de votre part de ne pas la comprendre. Tout esprit rationnel demande à être rassuré quant à l’utilité des efforts qu’il place en sa foi. Au fond de vous, vous remettez en question la manière dont vous vous êtes comportés vis-à-vis des humains. Leur donnez vous tant le sentiment de n’être qu’une menace punitive ? Le couperet qui fait saigner si leur morale venait à dévier ? Vous connaissez les exactions qui ont été commises en votre nom. Soumis ou non à votre responsabilité, d’atroces crimes ont été commis et l’histoire est là pour les conter.  

Les propos de Maximilien sont imprégnés d’un changement sans précédent dans les ondes qu’il dégage. Du phare lumineux qui avait débarqué, il ne reste à présent qu’une lampe torche hésitante. Vous ne pouvez nullement percevoir les causes intrinsèques responsables de cette effroyable extinction. Mais une certitude vous frappe. La raison extrinsèque n’est autre que le discours que vous avez tenu. Vous avez précipité cette envolée brutale, sans vous assurer que l’oisillon parvenait à voler. Compte tenu de la panique que vous sentez en lui, vous avancer jusqu’à lui ne ferait que la potentialiser. Les plumes de votre aura choisissent de procéder en douceur, s’aventurant timidement aux pieds du Londonien. Pour ne pas le braquer, elles s’agrippent avec grande minutie à ses habits, diffusant largement la chaleur emmagasinée par cette envie de vie. De leur petit bec molletonné, elles viennent picorer l’épiderme pour le faire brièvement frissonner. Revigorer des veines qui se sont glacées, un défi de taille pour ces petites graines d’espoir qui mettent tant de temps à germer. Vous venez d’en déposer un petit paquet, et vous n’en avez pas terminé. Malheureusement, nulle culture ne peut prendre sur terrain marécageux.

Votre volonté de poursuivre sur la culture Celte a eu plus d’ampleur que ce que vous ne le vouliez et il est temps pour vous d’arrêter les dégâts que vous avez initiés. Puisque votre proximité altère la lumière de ce feu follet, mieux vaut vous en éloigner pour lui permettre de rallumer les flammes qui le font vibrer. D’un sourire, vous le gratifiez avant qu’il ne disparaisse dans la nuit, vous laissant seule avec l’obscurité. Le bruissement des fougères qu’il traverse vous parvient, jusqu’à ce qu’il retrouve le chemin goudronné. De là, le bruit de ses pas s’éloigne lentement, disparaissant dans cette soirée qui ne fait que commencer.

Vous en profitez pour laisser exploser votre aura autour de vous, fermant les yeux pour lui rendre sa liberté. Vous la savez inoffensive pour toute âme prête à accepter l’entièreté des formes prises par la bonté. De là où vous êtes, vous ne doutez pas que la ville ressentira cet élan de gaieté tranquille qui vous habite. Cette nuit n’est qu’un motif de fête et cette cartouche que vous venez d’envoyer est la contribution que vous désirez y ajouter. Le bonheur est un ingrédient universel que vous voulez distiller.