Epreuve 6 - ONE PIECE REQUIEM

Une main gantée, rouge vif, trace à la plume en lettres cursives le début d’un message sur un épais papier de lin :

« Quiconque maîtrise la passé, captive le présent et vole l’avenir de chacun… »

Une phrase qu’aimait bien me répéter mon grand-père à ma sœur Sohalia et moi, quand nous étions enfants. Hier il était à la tête d’une des grandes mafias des eaux tranquilles des Blues, aujourd’hui c’est notre mère, une de ses deux filles qui mène les royaumes et la Marine en bateau. Voulant en vain m’extirper de mes songes, une tâche d’encre se forme sous la plume. Soupirant, mes yeux s’élèvent vers la fenêtre juste devant mon bureau de sapin :

Pleine lune hein… Je suppose que Luna doit être heureuse, quelque part…

C’est cette mère qui, malgré les apparences gracieuses de Lyanna la bonté incarnée, peut à la fois expédier ses enfants dans les bras de la Marine et traverser le Monde pour retrouver sa sœur ; et encore aujourd’hui, malgré le soin apporté à notre changement d’identité, je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi ce grand écart.

Elle me manque, cette époque où l’on nous appelait Luna et Elio.

Un cri étouffé traverse le plafond pour briser le silence ambiant de la chambre où je me trouve ; ma feuille remplacée et ma phrase réécrite, je mouille puis essuie cette fois la plume dans l’encrier avant de poursuivre où j’en étais :

« … Cependant c’est en volant cet avenir que chacun voudra présentement vous le reprendre, quitte à salir votre passé. Alors, à quoi bon découvrir ce qui pourrait nuire à autrui et à soi-même ? »

Si seulement je pouvais en être persuadé.

Certes, ma sœur et moi n’étions pas les chérubins parfaits dont elle avait pu rêver, mais par son choix nous en sommes tout de même venus à devenir les traîtres de la Famille : des agents du Gouvernement Mondial. Comme pour confirmer ma pensée, de nouvelles protestations résonnent, plus fortes que la précédente et ponctuées par les couinements de ressorts de lit :

« On dit que ces pierres, semblables à des morceaux polis de notre lune, mènent à des armes antiques pouvant détruire des continents. D’après vous, pourquoi sont-elles antiques ? Pourquoi parle-t-on d’Ancien Royaume ? La réponse est simple : l’être humain est incapable d’une sagesse suffisante pour l’empêcher d’éteindre sa propre espèce. »

Si seulement c’était aussi simple.

« Mais le Gouvernement Mondial, lui, a appris de cette erreur. C’est pour ça que ceux qui cherchent ces armes sont traqués et que pouvoir lire ces pierres est puni par la peine de mort, pour eux comme pour leurs proches qui auraient pu apprendre malgré eux en les côtoyant. »

Un sifflement mécanique accompagne les lamentations, lamentations qui se transforment alors en stridulations à mes oreilles :

« Ne mettez pas votre famille et vos amis en danger ! Ne laissez pas la curiosité gagner sur votre amour pour eux ! Nous avons une vie prospère et heureuse à mener ensemble, loin des destructions massives qui sont déjà le quotidien de la plupart des habitants du Nouveau Monde, sous le joug des esprits fous qui l’habitent. »

Pourquoi être allés au bout de notre parcours vous demanderez-vous, allez savoir… Peut-être est-ce pour retrouver notre tante disparue par nos propres moyens, mais c’est surtout vrai pour ma sœur qui la tient tendrement dans son cœur ; pour moi… je suppose que c’est pour la Famille.

« Nous sommes votre bouclier contre les royaumes barbares, qui refusent de se mettre à table avec nous pour construire un monde meilleur. Jouissons de nos droits, simplement n’oubliez pas nos devoirs que nous sommes tous capables de satisfaire… »

Si seulement c’était vrai.

Le silence semble de nouveau s'être installé. Posant la plume dans l’encrier sans même signer, je plonge de nouveau mon regard vers le ciel contrasté par l’astre. Un filet de sang marbre la vitre jusqu’à présent immaculée ; un léger rire nerveux m’échappe à cette vue. Après tout, peut-être que moi aussi, je suis heureux quelque part… à jouer les apôtres du Gouvernement Mondial. J’ai beau haïr la vue du sang à en vomir, la vérité est devant mes yeux : je ne me suis pas empêché de graver le verre afin que l’hémoglobine dessine une cravate, dont la lune forme parfaitement le nœud un bref instant avant de se désaxer. Satisfait de ce spectacle éphémère, je quitte le bureau en laissant derrière moi la feuille de lin et cette signature incomplète, réajustant ma cravate en arborant un sourire faux aux lèvres :

« Je suppose que je n’ai d’autre choix que de vous éclairer toutes les deux, Lyanna et Luna. »