Epreuve 1 - ELYSION & JOUEUR AMICAL

Béhékine et Elysion:

Ça en devenait presque une habitude. Ce n'était pas vraiment dans sa liste de choses auquel il souhaitait s'habituer mais, de toute évidence, on ne lui demandait pas son avis.
Le démon bestial s'était éveillé dans ce souterrain sombre de pierre, de corridors et de salles aux fonctions inconnues, sans savoir où, d'où ni pourquoi du coup.
Ce n'était pas la première fois alors, pragmatique, il se contentait d'explorer à l'aveugle et en essayant de rester discret malgré ses quatre tonnes et son gabarit pas très adapté à l'architecture. Ses épaules râclaient régulièrement murs et plafond des couloirs, et ses griffes cliquetaient contre les dalles de pierre.
Sans lumière d'aucune sorte, il progressait à tâtons et à l'odorat.

Pourquoi toujours des souterrains ?
Ne pouvait-on pas changer un peu des fois, et le transporter de force en haut d'une belle montagne, ou sur une plage ensoleillée ?
Au moins, il ne commençait pas son exploration par manger la poussière, ou par traverser un plancher, ce qui était un mieux…
Clic.
Le piège le frappa plus vite que l'ironie de la situation : le sol s'ouvrit sous ses pattes dans un fracas de machineries et il se retrouva à tomber-glisser dans un boyau tout juste assez large pour lui, ses griffes grattant douloureusement la paroi pour tenter de ralentir sa chute !

Au bout d'un temps trop long, le Démon bestial percuta un sol pas assez mou dans un grognement de douleur, roula un peu et s'arrêta enfin, sonné.
Il avait de la chance dans son malheur car, s'il avait mal partout, rien n'était cassé.
De mauvaise humeur suite à cette mésaventure - ce n'était de plus pas la première fois que ce genre de chose lui arrivait - Behekine se redressa et rouvrit les yeux par réflexe.
Tiens, il voyait un peu ici, dans cette salle de petite taille de pierre, de poussière et de résidus de textiles et de plantes sèches…
Il voyait un peu car il y avait de la lumière qui provenait de l'unique ouverture vers un couloir. Lumière qui bougeait, comme une lampe portée par un explorateur…

- Hé Oh ! Il y a quelqu'un dans ce foutoir piégé et poussiéreux ?

Ce n'était sans doute pas prudent de s'annoncer avec sa grosse voix dans ce lieu inconnu, mais il en avait marre de se manger des pièges en solitaire.

Qui suis-je ?:

Ploc. Ploc.

Dans mon dos, je sais que ruisselle un filet d’eau douce. Le bruit relaxant brise le silence environnant, et à l’instar d’un métronome me permet de suivre l’avancée du temps. J’ai grâce à lui notion que nous sommes entrés dans les entrailles des ruines depuis moins d’une heure.

Nous, comporte Béhékine, deux petits mètres au garrot pour presque cinq de long et moi, un grand mètre soixante-cinq. Nous collaborons depuis peu. Depuis ce jour à vrai dire, date à laquelle je suis tombée sur lui en explorant les ruines. Alors que je furetais au travers du dédale, j’ai soudain ressenti un puissant sentiment d’aversion Une chape de ténèbre est venue s’enrouler autour de mon être et m’a laissé entrevoir à quelques pas de là une tête féline qui m’observait. Elle affichait un effrayant sourire désabusé. J’en suis fière, je n’ai pas paniqué. Au contraire, je lui ai parlé et me suis présentée, persuadée que j’hallucinais. Entre poussière et air renfermé, je comptais bon nombre d’arguments pour étayer cette solide hypothèse. Suite à quoi, nous nous sommes séparés, et j’ai pu reprendre mon exploration. Ces ruines si étranges ne cessent de m’obséder depuis que j’ai pu y mettre les pieds.

Un choeur de dissonance me fait toutefois tendre l’oreille. Je jette un coup d'œil en direction du bruit émis, passant l’oreille du côté d’un nouveau corridor. Il n’y a pas une raie de lumière. Tant pis, la torche en avant, je progresse prudemment. Et c’est là que je l’entends :


“Petit chat ?”

Trop tard, je ne vois pas le gouffre qui s’étend à mes pieds et en réponse aux notes de mon comparse, je pousse un hurlement strident. Le choc n’est pas violent, mais je suis sonnée: Que vient t-il de se passer ?

Je sens la présence démoniaque qui pulse non loin. Maugréant en me relevant et époussetant, j’abrège son attente.

“Oui ! Je suis là aussi. Quelle aubaine…”

Une voix féminine lui répondit, étonnamment plus soulagée que inquiète.
Cela augurait du bon quand à une éventuelle coopération… et voulait peut-être aussi dire qu’ils étaient au moins deux à être bloqués dans ce souterrain de malheur.
Béhékine se releva tout à fait et s’avança d’un pas tranquille. Il savait bien que sa gueule n’était sûrement pas de celle que l’on souhaitait découvrir à la lueur d’une lampe au détour d’un couloir, dans un souterrain piégé et labyrinthique. Mais dans cette situation où il se sentait perdu et plutôt remonté contre l’architecte ayant conçu cet endroit, il s’en fichait et ne voulait pas faire de chichis !

Le Démon bestial tourna à l’angle et vit la silhouette d’une jeune femme portant une torche, aux longs cheveux chatains. Elle avait l’air au moins aussi perdue que lui, à en juger par ses vêtements poussiéreux et la façon qu’elle avait de scruter les ténèbres au-delà du cercle de lumière projeté par sa torche.
Conscient que ses yeux félins allaient bientôt devenir deux disques lumineux en reflétant cette chiche lumière, Béhékine prit les devants pour s’annoncer :

- Bonjour. Ou bonsoir. Êtes-vous comme moi ? Perdue dans ces maudits couloirs sans savoir comment vous vous êtes retrouvée là ?

Béhékine cessa d’avancer, laissant la jeune femme choisir d’elle-même la vitesse à laquelle elle voudrait le découvrir. Son corps massif occupait tout l’espace du couloir, alors ce n’était pas comme si elle pouvait le manquer !

- Je viens de faire les frais d’un piège astucieux qui a dû rendre très fier son concepteur, alors si vous souhaitez trouver la sortie, je serai ravi de vous y aider.

Une bonne partie de lui voulait laisser éclater sa colère et défoncer le moindre objet qui trainait. Mais il ne voyait rien qui trainait, et rester affable et calme était le meilleur moyen de faire de cette femme une alliée.
Mais s’il mettait la patte sur celui ou celle qui le transportait de force d’un endroit à l’autre… Cette personne passerait un très mauvais moment !
Par les Sept Enfers ! Il avait payé cher le droit de résister à ce genre de mauvais tour !

Hmm.. Il n’y avait pas d’hélice, hélas, c’est là qu’est l’os.

Je sens un regard de plomb s’abattre sur mon échine avant de sentir, plus forte que jamais, cette aura déchaînée. Je sens, avant de voir. Et quelle vision, devant moi encadre - difficile d’employer un autre qualificatif quand l’individu racle de toutes parts les trois parois de la pièce, tout en marchant sur la quatrième - un îlot de muscles, d’écailles, de griffes et de poils. Je déglutis, mais fidèle à ma stratégie première, je ne moufte pas et à mon tour, je lui adresse un sourire aussi large que grandiloquent.

“Effectivement, il apparaît que nous soyions tous deux pris aux pièges.”

Je ne campe pas sur mes positions bien longtemps et décide de m’approcher de l’étrange entité. En moi se mêle appréhension et excitation: quelle créature, bonté divine, arpente donc ces lieux ? Je m’arrête toutefois à distance raisonnable.

“Bien malin qui croyait prendre, mais nous trouverons bien comment sortir de là.”

Dans l’optique de souligner mes propos, je fais un pas en arrière et pivote. Je n’ai guère le choix, il existe deux sens dans ce corridor et l’un des deux est obstrué.

“Moi, c’est Ly’. Paré pour retrouver le chemin du salut, la sortie ?”

J’estime notre chute à environ 3 bon mètres, l’impact ayant été allégé par l’angle de notre boyau-toboggan. En revanche, j’ai peine à percevoir la moindre brise. J’ai l’intime intuition que le corridor nous mènera à une impasse. Je lève les yeux pour apercevoir mon point de chute, et me retourne vers mon acolyte, gênée.

“Vous êtes arrivés par où ? Je crois que…”

Je baisse d’environ une dizaine de décibels le volume de ma voix et termine.

“...que votre gabarit ne passera pas par là...”

Me rendant compte que mes variations sonores peuvent le mettre dans l’embarras, je reviens à mon volume initial et reprend d’un air plus enjoué.

“Vous avez déjà fait de la spéléologie ? Vous avez quelques notions ? Une corde peut-être ? Des outils?”

La jeune femme réagit avec discernement en le découvrant, ravalant sa méfiance et sa crainte pour se concentrer sur leur objectif commun. Béhékine hocha la tête, ravi de ne pas perdre du temps à la rassurer plus que ça et d’être tombé sur quelqu’un d’intelligent. Toujours affable, il sourit, faisant briller ses crocs :

- Enchanté de faire votre connaissance Ly. Je suis Crocs. Je vous suis, autant que ces murs le permettent.

Lorsqu’il découvrit la petite salle en tous points similaires, avec ce conduit ayant amené Ly à cet étage, il émit un grognement interrogateur.

- Hmmm… non, je ne pense pas tenir là-dedans. Et si celui qui a imaginé ces trappes n’est pas un abruti, je gage que l’accès s’est refermé derrière nous pendant qu’on tombait. Mais si nous sommes maintenant dans un… dungeon, alors il doit y avoir un accès pour que les geôliers puissent descendre à leur tour et voir qui s’est fait piéger. C’est ainsi que j’aurais fait, en tout cas.
Et je suis malheureusement sans équipement d’aucune sorte. Je n’apprécie pas d’être sous terre de manière générale, ça ne me réussit pas trop…

Elle devant et éclairant leur chemin, lui suivant à quelques pas derrière et marchant-rampant dans des couloirs limite trop petits pour lui, ils explorèrent l’étage dans lequel ils étaient tombés. Ils en firent le tour, littéralement, en quelques minutes en vérité ; l’étage n’était qu’une dizaine de salles “d’arrivées” connectées entre elles par une seule série de couloirs.
Ils furent bientôt arrêtés dans une salle, pour réfléchir.

- Évidemment, la sortie est cachée… Hmmm… est-ce que vous avez de l’eau sur vous ? Je pourrai essayer quelque chose…

Béhékine ne savait toujours rien de cet endroit, au sens large du terme. Il supposait qu’il était bien loin de chez lui, sans espérer deviner ce qui l’avait amené dans ce dédale. Mais les règles générales s’appliquaient toujours, donc cet ailleurs n’était pas trop exotique. Il sentait toujours correctement sa magie, par exemple, et espérait pouvoir en faire quelque chose, s’il avait les matériaux.
De l’eau, en l'occurrence.

Crocs. Le nom singulier ne m'évoque pas les chaussures mondaines dont j’ignore l’existence. Je ne sourcille pas.

“Cher Crocs, ravie de faire votre connaissance.”

Son raisonnement me paraît être d’une logique sans pareille et mue par notre envie de retrouver la sortie, nous nous lançons dans l’expédition. Dans ma poche, je croise les doigts, et de l’autre main, je viens chercher le contact de ma dague. Trouvée dans des ruines similaires à celles que j’explore aujourd’hui, j’ai bon espoir qu’elle puisse s’avérer être une bonne étoile.

“Que savez-vous de cet endroit ?”

Crocs a mentionné des geôliers, variable que je n’avais pas envisagée: il serait prudent d’anticiper d’autres rencontres incongrues. Malgré le fruit de notre bonne volonté, nous finissons hélas, par une impasse.

Crotte de biquette.

Mon acolyte est sans appel, nous ne pourrons pas revenir par les boyaux d’où nous sommes arrivés. Il n’a présentement pas d’outils, et je ne peux guère dire mieux. Puisque nous faisons halte, je me déleste de mon sac à dos que je laisse glisser à mes pieds. En retombant, il provoque un nuage de poussières qui me fait toussoter. J’en sors une gourde, que je tends au démon. Puis je dévoile ma dague, et le reste de mon maigre équipement. Il y a une bâche, des vêtements de rechange, un briquet, ainsi qu’une corde d’environ deux mètres.

“Voilà, c’est en somme tout ce que nous avons.”

Alors qu’il s’affaire autour de nos réserves en eau, j’observe notre environnement. Du bout du pieds, je prends le parti de dépoussiérer certaines des dalles sur lesquelles nous marchons. Une trappe pourrait-elle s’y cacher ? Mais à quoi servirait une trappe, alors que nous cherchons à remonter ? Rapidement, je change de tactique et m’intéresse aux murs qui nous entourent. Ma main y glisse à la recherche de la moindre encoche, la moindre faille. De temps à autres, je m’arrête et tape du plat de la main à la recherche d’une éventuelle résonance.

Le Démon bestial ne put que s’amuser malgré lui et sourire à la question de sa compagne d’infortune :

- Absolument rien ! Je me suis réveillé à l’étage au-dessus, sans savoir comment je me suis retrouvé là. J’espérais d’ailleurs que vous auriez pu m’éclairer un peu plus à ce sujet, en plus de votre torche.

Par chance, elle avait de l’eau sur elle, dans une gourde qu’elle lui tendit et, alors qu’il se débattait pour ouvrir le récipient sans mains, couché le long du mur comme un gros chat fatigué, elle déballa ses affaires. L’inventaire était court, la corde aussi, et n’était pas idéal pour qui souhaitait d’abord s’échapper des lieux.
Le bouchon de la gourde sauta enfin sous ses crocs et le démon bestial chantonna à voix basse en se concentrant au-dessus de l’objet. Il rassembla sa magie, puisant sans vergogne dans ce qui faisait fonctionner ce corps étant donné les circonstances…

L’eau dans la gourde s’évapora, devenant filet de brume, puis masse cotonneuse, puis véritable nuage qui enveloppa la salle de ses volutes, s’étendit dans les couloirs, jusqu’aux autres salles de cet étage en huis clos.
Béhékine garda les yeux fermés pendant un moment, concentré comme s’il écoutait attentivement puis…

- Aha ! Il y a une ouverture cachée dans le mur là-bas, sur votre droite, à trois mètres. Je ne peux percevoir sur quoi elle donne, mais avec un peu de chance, c’est notre sortie !

Béhékine commanda la brume pour la faire revenir autour de ce point du mur où il sentait que de l’air et de la vapeur pouvaient traverser, leur permettant de visualiser la forme d’une porte ou d’un passage. Puis il fit revenir le nuage blanc dans la gourde, avant de la refermer comme il pouvait :

- L’eau aura peut-être un goût bizarre. Beaucoup de poussière et de pierre dans le coin.

Il se releva et alla poser une patte griffue contre l’ouverture cachée, testant la solidité du tout en y apposant son poids.

- Ce bloc doit peser lourd, il doit y avoir un mécanisme derrière tout ça pour l’ouvrir. Après je peux tenter la manière forte…

Entendant les difficultés de mon partenaire, je me tourne vers lui pour proposer mon aide et m'aperçois qu’il a déjà les crocs plantés dans l’inox. J’ouvre de grands yeux ronds:

“Mais…”

De toute façon, le contenant est éviscéré, je n’ai pas le temps de m’appesantir. Le chaman, les yeux fermés, transforme l’état liquide en gaz qui se meut dans l’espace jusqu’à matérialiser l’emplacement d’un porche.

Je me précipite pour apposer l’oreille à l’endroit mis en exergue où je perçois un fin sifflement qui conforte son hypothèse. De mes doigts graciles, dont les ongles sont déjà emplis de poussière, je pars en quête d’un mécanisme, d’une poignée, ou que sais-je qui puisse nous permettre de l’ouvrir, un peu plus pacifiquement que les méthodes proposées par Crocs. Pendant de longues minutes, les fouilles sont vaines, mais sur la partie droite, je finis par accrocher une encoche qui me paraît prometteuse. A tâtons, je constate qu’un mécanisme s’y cache. J’y reconnais des formes géométriques, et je mets quelques instants à mettre des mots sur ces galbes.

“Ici, il y a une lune, un soleil, et… une planète ?”

L’exercice me demande un peu de dextérité, sans vision directe, mais je finis par les assembler dans leur ordre de proximité: le Soleil, la Lune et la planète.

Clic.

Je recule de quelques pas et constate que le changement n’est pas flagrant. Tout au plus, le pan de mur a émis un angle d’une dizaine de degrés. J'agrippe alors la tranche et m’arc-boute pour tirer de toutes mes forces, ce qui n’a pour seul résultat de gagner quelques centimètres alors que le sifflement du vent se fait plus strident.

“Crocs ! On y arrive !”

Munie de ma dague, je m’attaque à la couche de terre qui retient le coin inférieur de la porte, et en dégage le plus de matière possible pour diminuer les résistances sur ma trajectoire. Lorsque je parviens à une ouverture dégagée, je me tourne vers mon compère, fière.

Béhékine laissa Ly chercher le mécanisme d’ouverture. Elle avait des pouces opposables après tout, et il s’était fatigué plus que de raison avec son tour brumigineux.
Il ne fallut à Ly que quelques minutes pour ouvrir la porte et le démon hocha la tête, admiratif.

- Félicitations ! Allons, sortons de ce trou.

Il était toujours un peu agacé de s’être retrouvé là sans savoir comment ni où, mais il était ravi d’être tombé sur quelqu’un avec un cerveau potable et souhaitait retrouver l’air extérieur, loin de toute cette terre et ces pièges qui faisaient “clic” au plus mauvais moment.
Une fois un petit escalier remonté - Béhékine dut se contorsionner un peu pour passer - ils se mirent en route et en quête de la sortie, faisant bien attention où ils mettaient les pieds cette fois.

- C’est quoi ces ruines, au fait ?

Il souhaitait surtout partir, mais faire la conversation était une question de politesse, non ?
Peut-être une heure plus tard, la torche de Ly ne fut plus la seule source de lumière alors qu’un angle au bout d’une salle laissait entrevoir celle du jour.
Béhékine sourit de tous ses crocs, laissa échapper un soupir de soulagement.
Fit un pas résolu vers l’avant.
*Crac*

Il avait beau être un Démon quasi-millénaire, aux incroyables pouvoirs, Béhékine fit un véritable bond en arrière en entendant ce son.
Un drôle d’objet était brisé au sol, sorte de cristal enchâssé dans un bloc d’or et d’argent en forme d’ailes.
Une étincelle parcourut le cristal cassé pour mourir pathétiquement dans l’air.
Béhékine fronça les sourcils, en sentant que quelque chose arrivait.
Il s’inspecta brièvement, ne remarquant rien d’anormal.
Il voyait parfaitement bien à travers son corps qui était en train de disparaître.
…
Ah.
Il n’était pas inquiet : cela ressemblait fort à un rituel qui venait de se rompre, et il pensait en deviner l’issue.
Avec un sourire pour Ly, il lança, sa voix paraissant venir de très loin :

- Hé bien, je suppose que c’est ma sortie ! Merci pour la balade et à la revoyure peut-être ! Faites attention où vous mettez les pie…

Le démon massif disparut.

J’enjambe les branches mortes qui recouvrent le sol, et emprunte le chemin. Un brin tortueux, il nous amène à bon port : la sortie. J’émets un soupir de complaisance au moment où ma chaussure retrouve la terre ferme. Libres. N’ignorant pas que je dois une partie de mon salut à Crocs, je me tourne vers lui, et lui sourit, les traits plus que détendus.

“Je me suis aventurée pour la première fois dans ces ruines il y a trois mois. L’un de ses trésors avait été dérobé et j’ai fait partie des volontaires pour le retrouver. Mais curieusement depuis, je n’avais jamais réussi à les retrouver. C’est la première fois !”

D’ailleurs, ce succès est suffisamment important pour le graver. Je m’attelle donc à coucher mes souvenirs sur le dur et munie d’un bâton, je tente de cartographier les couloirs que nous avons arpentés. Je doute me souvenir avec exactitude des proportions et de l’enchaînement correct: la chute m’a un peu déroutée. Je me promets de faire pareil concernant le chemin retour. Je n’en ai pas fini avec ces ruines, surtout maintenant que je sais qu’elles sont également piégées.

Crac.

Lui comme moi percevons avec discernement ce nouvel avertissement. Alors que le sol tremble, induit par le bond du démon, je sursaute moi aussi et constate que Béhékine a la patte au-dessus d’un bibelot cristallin. J’émets une moue qui se métamorphose vite en stupéfaction. J’ai l’intime conviction que mon acolyte est en train de se dissoudre.

“CROCS ?!”

Je tends la main pour essayer de le rattraper. Est-ce un portail* qu’il vient de déclencher ? Ses traits ne sont pas inquiétants, et avec sérénité, il s’adonne à un au revoir qui ne me laisse pas indifférente. J’ai conscience que peut-être, il en est mieux ainsi, mais j’ai encore beaucoup de questions à lui poser ! D’où provient son enveloppe corporelle ? Vient-il lui des Enfers ? Que fait-il à Damned Town ? Tant d’interrogations qui resteront pour l’instant sans réponse.

*A Damned Town, les portails permettent aux divins de se déplacer, de la ville à la Terre, aux Enfers ou au Paradis, ou d’un endroit à un autre de la ville.