Epreuve 3 - LACRIMOSA & JOUEUR AMICAL

Présentation de Lacrimosa et d'Artemis:

La scène se déroule dans une chambre pauvrement meublée. ARTEMIS est couché sur le côté, face à l’unique fenêtre, à côté de son âme sœur qui dort paisiblement.


Les premiers rayons de l’aube glissaient sur le sol de la pièce de part et d’autres de la fenêtre. Artemis observait les motifs étranges ainsi formés, la poussière en suspension capturée dans la lumière, tentant de faire taire la peur viscérale qui l’étreignait. C’était plus fort que lui, des millénaires à se cacher de cette étoile capable de le réduire en poussière au moindre éclat sur sa peau ne pouvaient s’effacer en quelques semaines.
L’Apocalypse avait laissé la ville en ruine, leurs esprits et leurs corps meurtris. Dans sa folie divine, Creatorem avait soumis sa création et tous ses vices à une ultime épreuve avant de la récompenser de multiples façons.
Le petit vampire avait vu la terre évoluer à son rythme, avait subit sa course dans l’espace avec pour seule protection un bouclier de facture mortelle… Pour mieux la voir intégrer à un nouveau système planétaire.
Les siens avaient été maudits par le divin, des humains dégénérés descendant tous de près ou de loin du premier meurtrier de l’histoire de l’humanité, Caïn. Obligés de se nourrir de sang pour survivre, incapables de procréer si ce n’était en transmettant volontairement leur malédiction, incapables de mourir de vieillesse ou de maladie, ils ressemblaient plus à des zombies qu’à des êtres civilisés. Ainsi avait-il toujours pensé… Pourtant trop lâche pour mettre fin à cette mauvaise farce en se jetant dans les rayons meurtriers d’un beau soleil d’été.
Alors, esclave de naissance, il avait vécu sa non-vie comme il était né : en la mettant aux services des autres, pour mieux se sacrifier au passage.

Son regard glissa sur le corps pâle à ses côtés. Ici et là, l’astre du jour caressait les écailles iridescentes qui parsemaient la peau de son aimé, agitant les plaques écailleuses de couleurs chatoyantes.
Danse hypnotisante qui apaisait le cœur angoissé de l’ancêtre qu’il était.
Lucifer dormait encore, sa respiration lente et fluide berçait son ouïe fine d’une douce mélopée. Il lui avait fallu tant de temps pour comprendre qu’il pouvait se pardonner ses crimes et ses péchés, tant de temps pour parvenir à se laisser aller à aimer, à s’aimer et à être aimé, tant de temps pour accepter d’évoluer, enfin, vers une vie plus équilibrée.
Cesser de se punir encore et toujours d’exister, de manquer de courage pour poser le point final de sa triste existence. Cesser de laisser les autres l’utiliser à leur guise en sacrifiant son corps et son esprit à leurs vices les plus cruels.
Pourtant, tout cela n’avait jamais eu d’importance. Aujourd’hui encore, il laissait au passé ce qui était à présent derrière lui.
Lucifer avait illuminé sa nuit infinie par sa simple présence, par son entêtement à se tenir à ses côtés, sa persévérance à le tirer vers le haut loin des méandres de son abnégation.
Il lui avait fallu du temps, des mois et des mois, pour faire comprendre à Artemis la valeur de sa non-vie. Son droit d’exister, le droit universel au bonheur… Si simple et pourtant longtemps hors de sa portée. Irrémédiablement attirés l’un par l’autre, l’un si lumineux et l’autre si sombre, les deux faces d’une même pièce… Artemis avait fini par comprendre que la douleur dans sa poitrine n’était due qu’au poids de ses sentiments.
Il avait alors pris à deux mains le peu de courage qui dormait au fond de lui pour avouer à son ami que sa manière de l’aimer n’était pas celle de l’amitié. Un nouveau chapitre de leur histoire avait commencé à s’écrire, dans la douceur et la chaleur d’une vie à deux, dans l’angoisse d’une profonde remise en question.
Et pas un seul instant le castrat n’avait éprouvé de doute ou de remord face au choix qu’il avait fait : avancer à deux, ensemble, sur une route qu’il avait jusqu’alors parcouru dans l’ombre d’un autre, sans jamais voir plus loin que le bout de ses pieds menus.

Ses lèvres se posèrent sur la peau tiède, à la jonction du cou et de l’épaule, là où le manticore l’appréciait le plus. Il glissa ses mains froides sur le corps aimé pour l’enlacer tendrement, précautionneux. Loin de se montrer taquin ou affamé comme d’autres auraient pu l’être, il se contentait du simple bonheur d’être ensemble, là, dans ces draps propres. Et dans un demi-sommeil heureux, son amant l’étreignit à son tour, sa longue queue reptilienne s’enroulant autour de sa cheville.
La journée s’annonçait merveilleuse et Lucifer jouissait justement d’un repos bien mérité, situation idéale pour s’en aller explorer les environs auparavant trop irradié pour tout mortel qui ne cherchait pas à mourir dans d’atroces souffrances.

Il avait délaissé la nuit éternelle qui l’avait accompagné de sa solitude plus de quatre millénaires durant. Main dans la main, épaule contre épaule, ils allaient à présent dans la clarté de ce nouveau jour, heureux de leur simple présence mutuelle.
Ensemble, envers et contre tous.

Qui est Luke ?:

La scène se déroule dans une chambre à coucher luxueusement décorée. LUKE se tient debout, face à deux personnages dont nous tairons les noms pour les bienfaits de l’anonymat, et pour permettre au personnage principal de les oublier.

LUKE : « Dehors, les rayons rougis des plaines infernales rappellent un crépuscule, projetant dans la pièce des ombres menaçantes. Ces formes difformes s’étendent sur les surfaces avoisinantes aux fenêtres ; elles résonnent avec ma colère pour déformer les lignes rigides de la chambre. C’est plus fort que moi, jusque dans mon tombeau j’emporterai cette lumière dévastatrice. Le Créateur m’a abandonné et je tourne le dos désormais à son grand soleil, brûlant ma peau au moindre écart. Sa malédiction qui depuis toujours m’enserre s’apprête à être brisé dès qu’il m’en sera donné l’occasion. Les Enfers, ces terres autrefois hospitalières et accueillantes ne sont devenues qu’hostiles territoires, que plus rien ne protège des sables balayant les plaines.

Les démons, présentés depuis mon enfance comme les grands héritiers des anciens, s’étant révoltés contre la tyrannie d’un tout puissant dictateur ; arrachant leur liberté par les armes pour briser leurs chaînes. Des êtres qui se veulent civilisés mais ne sont autre que trompeurs et égoïstes, et qui révèlent enfin leur vraie nature lors que le chat les attrape sur le fait ! Ô sacrediable, quelle vie pourrais-je imaginer ? Moi qui depuis que je suis né profite de ma vie avec naïveté, n’imaginant pas un seul instant que le coup fatal par plus proche ami pourrait m’être porté. Un martyr, voilà ce qu’il faisait de moi, lui qui devant mon corps effondré se joue de mon malheur.

Mes yeux parcours la distance me séparant de sa peau hâlée, de ses cheveux noirs que la lumière ne pouvait sublimer, et de son regard autrefois empli de tendresse à mon égard mais qui n’exprime plus que tristesse désormais. Son visage hypnotisant me tord le cœur, puis le brise en mille morceaux. Je dormais paisiblement, maintenant c’est la douche froide à peine éveillé. Je ne pourrais probablement plus jamais lui pardonner sa traîtrise. Lui qui m’avait promis un royaume, il me l’arrache de ses mains douces et me déchire les entrailles. Ses crimes et ses péchés qu’il commet sans remords font basculer ma vie autrefois équilibrée.

Je ne dois plus m’imaginer à ses côtés, je ne dois plus repenser à ses caresses et à l’amour qu’il souhaitait me donner. Je ravale le passé d’une déglutition douloureuse, enfouissant la rage, la douleur et le désespoir qui fulminent en moi. Après tout ce temps, pourquoi ne l’avais-je pas encore compris ? Nous étions irrémédiablement destinés à changer de route, il était mon ombre, j’étais sa lumière, désormais je ne suis plus que l’ombre d’un ciel sans soleil. Mon âme est éprise de remords et les doutes envahissent ma gorge. Devant moi il tient la main d’un autre que moi, ses mots me blessent, ils sont définitifs, il ne veut plus de moi. Peut-être ne m’a-t-il jamais aimé ? Peut-être tout ce que je croyais fondé n’était qu’une vaste blague que l’on attendait de me raconter ? Ma trajectoire quittait son orbite, et j’allais m’échouer dans le noir, loin de notre histoire et de notre amour.

Alors j’ai pris le peu de courage qui dormait au fond de moi pour avouer que ma manière de l’aimer n’était pas celle de l’amitié, et le chapitre de ce conte de fée s’est terminé sans retour à la ligne. Fin. Une rature, des pages que l’on déchire dans l’angoisse d’une profonde remise en question. Alors que mes pas me guident vers la sortie, étranger dans sa propre demeure que je fuis à toute vitesse, c’est le froid du dehors qui me prend dans ses bras. La caresse mordante de la brise glaciale de la nuit, ses baisers brûlant sur ma joue et mon corps affamé. Son étreinte tendre qui pourrait m’endormir pour l’éternité si je choisissais d’y succomber. Je devais me contenter de ce simple malheur d’être seul, là, loin des draps propres de mon palais. La journée s’annonçait désastreuse et point idéale pour marcher seul dans les plaines à la recherche d’un refuge pour ne pas finir là, abandonné dans ma souffrance. Je devais désormais délaissé la lumière éternelle qui m’avait accompagné dans ma solitude plus de deux centenaires durant. Lame entre les omoplates, honneur jeté dans la boue, j’allais à présent dans l’obscurité de ce nouveau jour, brisé par son absence émancipée.

Seul, envers et contre tous.»