Epreuve 2 - NANO ROLE PLAY & ONE PIECE REQUIEM

”Présentations “:

Qui avait dit qu’elle avait la vie facile ? Certes, Inessa Sevastianovna Tselikovskaïa – de son petit nom – avait la chance de faire partie de la bourgeoisie aisée de Moscou. Cette même chance faisait qu’elle se devait de représenter dignement sa famille, en tant qu’unique héritière des verreries Tselikosky… enfin disons “en tant qu’unique moyen de permettre à un quidam de l’épouser et d’empocher le pactole à sa place”, c’était plus juste.

La demoiselle en était donc à cacher son ennui par d’aimables sourires et de piques courtoises envers ses prétendants – tout en priant d’un lustre s’effondre sur le nigaud qui lui faisait outrageusement du gringue – quand un miracle la sauva : une des rarissimes traditions rocambolesques de la maison hôte de cette soirée soporifique ouvrait le bal. Ineska, en bonne fille de bonne famille, s’était informée des us et coutumes et visiblement, elle était bien une des rares à l’avoir fait…

Autant pour elle, une autre convive semblait apprécier ce (faux) revirement tout autant.

Un pas légèrement dansant, la belle remonta sa robe d’une main et s’approcha de la femme en uniforme avec un sourire. “Vous dansez j’espère ?” lui proposa-t-elle d’une voix… prometteuse. Si en plus de cela, son père pouvait avoir une crise cardiaque à la voir dans les bras d’une dame, c’est que le Seigneur devait la soutenir plus qu’elle le pensait.

“Vous pouvez toujours essayer, caporal…” souffla-t-elle en se collant à son tour à sa partenaire désignée plus ou moins arbitrairement, les décorations sur sa veste lui indiquant qu’elle n’avait pas choisi n’importe qui, ça allait définitivement jaser (puis un petit scandale n’allait pas tuer personne… pas même son père hélas).

Profitant de sa taille plus importante, Ineska dirigea le premier geste en se séparant de l’autre femme, main dans la main. C’était comme dompter un nouveau cheval inconnu, le comprendre à sa posture, sa nervosité, et l’accompagner plutôt que de s’imposer à lui.

Un autre sourire complice et elles faisaient face à leur public – au Diable la discrétion apparemment – tout à la fois gêné du spectacle et heureux de l’ambiance plus festive qui s’installait. “Vous êtes séduisante, n’en déplaisent à certains” taquina la blonde avec un clin d'œil. “Et assez maline pour saisir une opportunité, j’en suis certaine.”

Sa longue robe fendue ne la gênait pas à suivre le rythme, bougeant des pieds et des hanches en faisant tourner et virevolter la jolie blonde dans ses bras. L’autre la suivait incroyablement bien, même si elle sentait plus une improvisation instinctive qu’une réelle maîtrise de la danse, mais le plaisir était là. “Je vous avoue…” lui souffla en se posant derrière la militaire, les deux mains sur le haut de ses hanches, “que j’ai un faible pour les uniformes.” Les talons glissèrent entre les jambes de la caporal quand elle l’a rattrapa par la taille sans la laisser toucher le sol avant de la faire pivoter autour de sa propre cuisse.

Honnêtement, Ineska ne s’était pas attendue à une telle force de la part d’un bout de femme aussi petite. Il lui avait fallu toute son expérience de cavalière aguerrie – en danse ET en équitation – pour adapter son corps au mieux et se félicita grandement pour les essais de voltige en plein galop avec sa jument. Elles géraient…. jusqu’à ce que sa partenaire agrippe de nouveau sa taille pour la lancer dans les airs, tête en bas.

La tête lui tournait, métaphoriquement. Il y avait dans cette danse étrangère une liberté outrageuse qu’elle embrassait pleinement, ce que certains couples d’invités goûtaient encore timidement en les rejoignant sur le parquet. Ineska adorait frôler les limites, naviguant entre les barreaux de sa cage dorée et ce soir – oh ce soir ! – elle avait trouvé la plus exquise des excuses : honorer leurs hôtes sous le nez même de la bienséance.

“Enchantée Caporal De Ruyter.” La politesse employée contrastait terriblement avec son déhanché aguicheur. “Mademoiselle.” Un tour sur elle-même. “Inessa.” Un bras jeté sur le côté. “Tselikovskaïa.” Une pirouette de l’autre dans ses bras. “C’est vraiment un plaisir.”

Profitant d’un face-à-face entre deux enchaînements, elle se surprit même à poursuivre la conversation. “Votre fougue me convient parfaitement très chère, vous êtes mon salut… ou devrais-je parler de phare dans la nuit, ce serait plus approprié pour un marin, non ?” Elle eut un petit rire. Approprié n’était pas non plus un mot à employer pour l’heure. “Est-ce la mer qui vous a donné un tel sens du rythme ?”

La belle se sentit ensuite soulevée de nouveau et comme sur la selle de Perle, s’enroula d’un côté et de l’autre de la petite silhouette. L'exercice avait un côté… exaltant. Quand sa jument était lancée en plein galop, elle ne devait faire confiance qu’en elle-même pour éviter une chute dramatique. Là, elle avait sa vie dans les mains d’une autre et cette – temporaire – perte de contrôle était grisante.

“Je n’ai jamais eu la chance de naviguer, ni même de voir la mer” reprit Ineska alors qu’elles se copiaient l’une l’autre, dansant comme les reflets d’un miroir déformé. “L’océan est-il comme on le dit, aussi magnifique qu’indomptable ?” Les yeux bicolores brillaient de malice, noyant la portée réelle de ses paroles.

“Il n’est pas très gentil de faire rêver une femme enchaînée à la terre ferme” ronronna-t-elle entre deux battements de cils et un cambrement de reins. Tout son corps vibrait tellement au rythme de la musique qu’elle le laisser agir comme bon lui semblait. 

“Vous me faites miroiter un paysage nuancé de bleu, de vert, de gris, de désespoir…” D’un geste théâtral, Ineska s’arqua pour être plus à la hauteur de l’autre. “D’audace…” Sa poitrine plus délicate se colla à celle plus imposante, prisonnière du corset militaire, et s’éloigna tout aussi rapidement. “Et de désir… vous aimez cette vie dangereuse, je le sens.”

Ce dût être le mot déclencheur car Helena agrippa fermement ses poignets et la fit de nouveau basculer entre ses jambes, l’obligeant à se mettre en boule pour ne pas se cogner. Alors qu’Ineska pensait que la caporal allait la relâcher et la remettre sur pied, cette dernière la lança haut au-dessus des convives, surprenant une fois encore l’assemblée. Les lumières des lustres brillaient sur ses bijoux et sa robe carmine, la faisant miroiter de millier de diamants, alors qu’elle profitait de l’élan pour tourner sur elle-même. 

Les bras minces mais puissants la rattrapèrent avant qu’elle ne touche le sol puis Helana partie dans une roulade sur le plancher. Un dernier sursaut d’énergie, de sa part et de l’orchestre, et Ineska la rejoignit avec mouvement fluide alors qu’une ultime note de cuivre stoppait le temps et les esprits.

Il n’y eut que le concert discrets des souffles de l’effort donné des deux icônes de la soirée, Ineska dans une pose alanguie, dessinant un large éventail à leurs pieds de sa robe rouge, tandis qu’Helena se tenait droite et fière à genoux à ses côtés. Pas d’applaudissements, ni de remarques, mais un respect nouveau dans les yeux de la foule.

La belle se releva comme si de rien n’était, la montée rapide de sa poitrine à sa respiration comme seul indice de son effort, et replaça une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle gageait que le reste de sa coiffure en avait pris un coup mais qu’importe.

“Je pense que j’aurais également beaucoup à raconter à mon neveu… d’ailleurs si vous restez encore quelques temps et qu’il est avec vous” – ce qu’Ineska ne doutait pas – “et d’âges similaires, ils pourraient se rencontrer.”

Une autre musique repris, bien plus calme, et c’est d’un pas dansant qu’elle entraîna sa partenaire plus proche des tables, loin de son père, et reprit un verre bien mérité. Une autre coupe fut gracieusement tendue à Helena.

“D’ailleurs Caporal, il me plairait de vous montrer un jour les vastes étendus blancs où j’aime galoper. Là où vous voguez à travers les dangers de l’océan ou le calme céruléen de la mer, nous vivons à la merci du froid, de la neige et… des démons. Si tant qu’il vous y soit possible, je vous montrerais.” 

C’était une promesse, scellée dans un sourire et un regard posé. Ineska rêverait de prendre le large, voyager, découvrir, conquérir, tout comme elle aimait le pays rude et gelé qui l’a vue naître et façonnée. 

Sa vie était à l’image de cette soirée : mortellement ennuyeuse et plate quand une danse étrangère vient soudainement la rythmer. Helena lui avait ouvert la porte sur d’autres possibilités, d’autres rivages. Mais comme tout, la danse avait pris fin et elle devrait retourner au banquet de la monotonie.

“Mais après notre retour sur la terre ferme… il est hors de question de rester au port après m’avoir décrit de si jolis rêves” la taquina-t-elle. “Vous accepteriez un cheval sur votre navire Caporal ? Promis, je ne prendrais guère de place dans votre cabine.”

Oui, peut-être bien trop proche. Mais n’est-ce pas là tout le sel des rencontres dûes au hasard ?