Evenement de la Saint - Valentin ☼ Séraphin

Être l'organisatrice même de cet évènement des plus romantiques ne me suffisait pas vraiment. Après tout, quoi de mieux pour donner le cafard que de passer la soirée à observer des couples sans pouvoir profiter soi-même d'un moment d'intimité avec un inconnu ? Passer sa vie à explorer des lieux insolites ou à percer les mystères et secrets qu'abritent d'anciennes ruines n'est pas compatible avec une vie simple ou à l'entretien d'un foyer chaleureux. Ne vous méprenez-pas, j'aime ma liberté et l'adrénaline qui fait battre mon cœur lorsque mes mains se posent sur des pierres vieilles de plusieurs centaines d'années. Mais il faut admettre que parfois, l'idée de retrouver son chez-soi rempli de vie me titillent l'âme. La plupart du temps, je me refuse à rester concentrée dessus, mais parfois l'idée subsiste dans mon esprit assez longtemps pour me faire douter quelques minutes. Ce soir, c'est justement ce doute qui m'a poussé à m'inscrire.

Je suis désormais devant le miroir de ma salle de bain, ajustant les nœuds de ma robe jaune pastel aux motifs fleuris. Une ceinture ressemblant trait pour trait à des maillons de chaîne d’or, vient enserrer ma taille pour ajuster la tenue. Mes cheveux d’habitude toujours réhaussés en queue-de-cheval sont désormais relâchés et leur rousseur fait écho aux tâches qui parsèment mes joues. Puisque mes clavicule et mon cou sont dénudés, j’enfile un collier arborant une rose blanche en argent verni pour occuper l’espace. Pour finir, une sacoche jaune cousue de fleur parfait la courbe de mes hanches. Je m’observe à nouveau dans le miroir, c’est tout de même très jaune non ? Je risque de vraiment attirer l’œil. Je me ressaisi, après tout pour une fois, autant me faire plaisir.

Tenue de Séraphina:

Craignant d’être en retard, j’opte pour un maquillage léger et naturel. Je sublime d’abord mon regard turquoise d’un coup de crayon noir simple et discret, puis je régularise la peau de mon visage par un brin de fondation. Inutile d’ajouter du blush, mes joues sont naturellement rouges en période hivernale. Enfilant un manteau long brun pour affronter le climat extérieur, je fais claquer mes talons sur les pavés des ruelles pour rejoindre sans tarder le restaurant. En entrant, un serveur fort aimable se saisit de mon manteau pour l’accrocher à un porte-manteau et m’accompagne jusqu’à ma table. Alors que sillonne les allées bondées de monde, je suis ravie de découvrir la joie ambiante. De nombreux couples semblent immergés dans leur petit monde, je reconnais d’ailleurs des têtes m’ayant aidé auparavant. Je les salue d’un signe de la main, et leurs visages surpris me rendent des sourires. Une musique agréable embaume la pièce tandis que j’approche de ma table.

Là, une grande femme à la prestance déconcertante m’observe de ses yeux doux. Elle porte une robe rouge pourpre aux arborescences dentelées. Ses cheveux blonds relevés découvrent des bijoux magnifiques scintillants à la lumière. Je dois avouer être intimidée et me sentir au passage vraiment pas assez habillée. Les joues rougies de timidité, je prends place, saluant ma compagne de la soirée.

« Enchantée, Séraphina et vous êtes... ? »

J’allais lui serrer la main, quelle cruche je fais tout de même.

Au final, mon élégante partenaire de soirée, Haeylin de son nom, se décide à empoigner ma main pour finaliser une salutation formelle. Au moins, c’est moins embarrassant qu’une blattante ignorance.

Nous nous asseyons toutes les deux à nos chaises respectives et je constate que cette table de tête à tête a été décorée pour l’occasion de bougies parfumées blanches aux fragrances fleuries. Quelle coïncidence au regard de ma tenue ! Je l’observe nerveusement s’installer à son aise, visiblement bien plus détendue que moi. Il semblerait que ce temps passé auprès de vieilles pierres m’ait rouillé sur les interactions humaines. J’espère que la jeune femme ne sera pas trop incommodée de mon manque de sociabilité.

De longues minutes silencieuses s’écoulent, pendant lesquelles je n’ose pas l’interpeller, cherchant désespérément dans mon esprit des phrases d’accroche du genre : « vous faîtes quoi dans la vie ? » ou « quelles sont vos passions ? » pour démarrer une conversation. Mais elle paraissent trop banales à mon goût, alors je les chasse immédiatement de ma tête. Si bien que je suis surprise d’entendre à nouveau la voix douce d’Haelyn s’adresser à moi.

« Je dois vous accorder que c’est exceptionnel pour moi de rester si longtemps au même endroit. Je suppose que Damned Town est suffisamment riche en mystères pour prolonger mon séjour d’une durée indéterminée. »

Je m’entends rire, d’un rire qui sonne peu naturel à mes oreilles. J’esquive le regard de ma compagne pour me concentrer sur mes phalanges et mes cuticules : j’ai passé de longues minutes à nettoyer et réparer ces ongles salis par le travail de terrain. Puis le serveur s’approche de notre table pour déposer un menu. Je l’écoute avec attention détailler les suggestions du chef et en profite pour me focaliser sur Haelyn, dont j’envie la grâce naturelle et la confidence. Je ne saurais décrire son métier, mais elle ferait très bonne oratrice ou enseignante. Lorsque les yeux du serveur se pose sur moi, je ne me laisse pas impressionner, et après un raclement de gorge encourageant, je détaille ma commande.

« Je prendrais des gnochettis sardes au pesto et champignons avec un verre de limoncello je vous prie.»

Je referme mon menu et le rend au serveur. Je ne suis pas une grande habituée des vins, ce serait un crime de ma part d’en commander un verre. Je souris à mon tête-à-tête, puis replace mes mèches de cheveux derrière mes oreilles, je n’ai décidemment plus l’habitude non plus de les détacher.

« Vous semblez être une habituée des soirées de ce genre, je me trompe ? Ne voyez pas là une quelconque critique de ma part, plus un compliment. Vous rayonnez par votre assurance. »

Je me surprends moi-même par ma confiance en moi, je peux donc m’exprimer sans mâcher mes mots ni bégayer lorsque je mets un peu de moi.

A mon tour, je lève mon verre pour venir trinquer à l’Amour. Celui avec un grand A, que les romans antiques décrivent avec passion et dont les tombes mystérieuses abritent parfois les vestiges pour l’éternité. Je repense à la découverte quelques années auparavant de ce tumulus de terre perdu au milieu de la forêt et recouvert de mousse. Sa mise à jour avait mis en lumière l’affection inconditionnelle que le couple enterré là éprouvait l’un pour l’autre. Après tout, il faut parfois se laisser prendre au jeu de l’émotion pour découvrir un nouveau monde unique s’ouvrant à nos yeux.

Je bois une gorgée de ma boisson, plissant les yeux lorsque l’alcool dévale ma gorge mais restant attentif à ma partenaire et ne faiblissant pas dans mon discours. Déjà une chaleur familière diffuse dans mes veines et mon esprit se teinte d’une simplicité étonnante. Je suis surprise de l’aisance avec laquelle Haelyn semble mener cet échange, choisissant ses mots avec précision et se refusant à bégayer sur une tourne de phrase compliquée. Elle ferait une excellente journaliste d’investigation, bien que son élégance naturelle soit difficile à imaginer dans un contexte similaire. Une oratrice, pour sûr.

C’est-à-dire tout le contraire de moi. Je sais mesurer mes paroles et articuler mes pensées lorsque je dois présenter le résultat de mes recherches, mais il m’est difficile de rester simple dans mes explications. J’ai l’affreuse tendance à m’emballer par mon énergie et mon enthousiasme, et les mots jaillissent sans filtre ni manière pour abreuver l’auditoire. Pas très pédagogique si vous voulez mon avis. Cependant, ma partenaire marque un point : l’assurance et la confiance en soi me reprennent en période de fouille. Là, j’enfile ma casquette d’exploratrice et ma personnalité s’en colore adéquatement.

« Je donne parfois des conférences, soit pour présenter mes résultats, soit pour étayer mes conclusions sur des hypothèses anthropologiques. L’auditoire auquel je m’adresse est composé généralement de confrères ou d’universitaires. N’y voyez pas du dénigrement, mais ces conférences sont plutôt orientées vers un public niche. Maintenant ce n’est pas mon activité préférée, je préfère de loin le travail de terrain.»

Je marque une pause, tandis que le serveur apporte déjà nos commandes. Il pose avec agilité nos assiettes bien remplies. Les odeurs me parviennent et déjà la faim tiraille mon estomac. Le restaurant est à la hauteur de sa réputation et de sa décoration : les mets sont joliment présentés, avec un sens du détail qui ravit mon côté méticuleux. Avant de prendre une bouchée, je croise mes mains sur mes jambes, avant de centrer mon attention sur la jeune femme me faisant face.

« Assez parlé de moi je vous prie, qu’en est-il de vous ? Je soulignais votre assurance tout à l’heure, j’imagine que celle-ci s’est forgée de par votre expérience. Vous semblez à l’aise à l’oral, vous devez être une grande oratrice. Seriez-vous dans le milieu du droit, des affaires ou bien de l’enseignement peut-être ?»

Je replace les mèches de mes cheveux et me cache dans une bouchée de gnocchis, délicieuses de surcroît !