Hermine Delorme - Recommencement ou finalité ?[Terminé]

Tell me what you've been

Quelque part en France, un bébé vient au monde. Une petite fille à la couleur de peau particulièrement pâle. Les premiers hurlements n’ont pas tardés à se faire entendre, alors que le nourrisson vient de vivre l’étape la plus traumatisante de son existence jusque-là : sa naissance. Minuscule, pourrait-elle rentrer dans une boîte à chaussure, sans un cheveu sur le crâne, sans un poil sur le corps. On la dépose sur une peau chaude, perlant de sueurs dues à l’effort d’un accouchement. Peau à peau, les deux êtres qui se rencontrent réellement s’apprivoisent. C’est une voix maternante, mais pourtant déjà exigeante qui vient lui murmurer alors que ses doigts effleurent lentement le visage encore humide du petit être.

- « Ma fille, tu es si parfaite, un grand avenir t’attend… »

Le bébé est retiré, simplement pour faire les premiers examens. Parfaite, c’est ce que dès son premier jour, sa première heure, sa première minute, seconde d’existence elle avait déjà dû être. Le père n’était arrivé que bien après sa mise au monde. Ceux qui formaient cet étrange couple de chanteurs reconnus à l’influence toute relative, avaient fini par déjà souffler les espoirs et les marches inatteignables qu’il espérait pour cette minuscule être encore trop insouciant pour réaliser la pression mise sur ses épaules.  

C’est désormais huit ans qui se sont écoulés, quelques années étranges où celle qui ne possédait pas le moindre cheveu avait fini par se voir dotée d’une crinière d’un blond couleur des champs. Presque comme tout enfant, elle était pleine de vie, pleine de questions sur le monde et son environnement. Surprotégée, notamment vis-à-vis des vautours aux appareils photos, la famille avait mis en place un jeu : le cache cache des observateurs. Néanmoins, c’est dans cette étrange traque que la petite fille avait dû s’épanouir, avec la sensation permanente de ne pas être suffisamment bien pour ses parents. Trop curieuse, pas suffisamment polie, trop souriante, trop expressive, trop petite, ne se tenant pas suffisamment droite. Parce que l’enfant avait déjà des difficultés, elle fut envoyée loin de cette famille aimante, mais exigeante, dans une école réputée où on lui enseignerait plusieurs langues ainsi que les règles de bonnes conduites. Inscrite sous une autre identité, personne ne connaissait le visage de cette enfant, au nom pourtant parfaitement connu.

Quelque part dans cette école réputée. La petite fille laisse place à la presque adolescence, celle qui est façonnée perpétuellement par les exigences de l’extérieur. Son insouciance d’enfant, c’est envolé, égaré alors qu’elle était convaincue de perdre la vie dans un liquide salé, là où les vagues se transforment en rouleau pour s’abandonner, fouetter, dessiner le sable. Personne ne lui avait dit de faire attention, personne n’a semblé s’inquiéter lorsque la gamine a disparu sous une vague. Repêchée de justesse par un promeneur qui ramassait des coquillages, elle n’en fut que plus disputée par les parents honteux de récupérer la progéniture ensablée, les cheveux emmêlés. Déstabilisé, personne n’avait plus évoqué l’incident, dont très certainement le couple de chanteurs avait sous-estimé la gravité. Règle de bonne conduite en poche, compétence dans plusieurs langues la fille unique avait fini par sortir du lot au plus grand plaisir de ses parents –qui cependant jamais entièrement satisfait mettaient la barre toujours plus haut-. Tu feras les plus grandes écoles ma fille. Tu seras la première ma fille. Hermine, avait en effet sauté des classes, mais plus l’exigence augmentait, plus celle qui se transformait peu à peu en cette adolescence perdait cette étincelle de vie, de spontanéité.

Ce sont sans aucun doute les rencontres qui façonnent une vie, bonne ou mauvaise. Peu enclin à faire la fête, la jeune fille avait finalement développé un goût prononcé pour la perfection. Grandissant, évoluant avec ce petit enfant du couple d’amis proches, fils d’un acteur montant. On lui avait toujours dit et répété : vous êtes faits pour être ensemble. Sans doute dans cette confiance aveugle, dans cette naïveté étrange l’avait-elle cru, s’accrochait-elle, écrivait-elle à celui qu’elle envisageait pour être son prince charmant. De charmant, il n’en avait même pas le nom, mais aveuglée par cette distance Hermine ne découvrirait l’envers du décor que bien plus tard. Était-il ce fil la raccrochant encore à sa normalité, à son existence, sa joie de vivre, son humanité. Elle l'aimait, fallait-il bien le souligner, s'accrochait-elle plus que des raisons aux lettres échangés, aux messages, aux appels à ne plus en finir. Il lui avait promis une fuite, un nouveau départ, loin, si loin, il avait dû négocier pour obtenir cette accord et finalement avait-elle acceptée, avait-elle dit oui. A 18 ans, ils s'envoleraient loin de tout ça, elle ne ressentirait plus jamais cette pression. Si seulement.

Envolée, volatilisée sont insouciance, inconscience, confiance. L’heure des premières fêtes, l’heure des premières sorties ou celle qui ne s’amuse pas vraiment évolue en avisant l’ensemble avec cet air de dégoût, de mépris. Ceux qui dansent sans le moindre sens, ceux qui n’atteignent pas, n’effleurent pas toute cette éducation qui l’a parfaitement formaté à être ce qu’elle était. C’est lors de cette fameuse dernière soirée que son dernier espoir se brisa, s’envola, alors que trop ivre, avisait-elle ce prince charmant savourer à pleine bouche cette amie qui se prétendait meilleure que les autres. Elle était sobre elle, ils étaient ivres eux. Cela n’excusait sans aucun doute rien. Dévastée elle avait été incapable de réagir et avait fini par partir. Abandonnant derrière elle son coeur en miette, ses espoirs, se retrouvait-elle face à sa propre incompétence, à sa propre naïveté d'avoir cru stupidement des mots, juste des mot, rien que des mots devenant désormais des maux, des maux qui la hanteraient à jamais. Le lendemain, elle avait appris au petit matin que trop ébréché, le nouveau couple coupable d’avoir anéantis ses espoirs avait perdu la vie. Noyés. Terrible accident, pourtant pas si rare que ça durant des soirées alcoolisés. En partant avait-elle maudit les deux, avait-elle souhaité cette perte et si la culpabilisé avait un instant proliférer dans son esprit, c’est bien cette étrange satisfaction qui avait fini par la submerger. L’imperfection et les erreurs étaient obligatoirement sanctionnées par la roue de la vie. Le karma.

«  Je serais médecin », elle l’avait dit avec cette certitude si profonde, si importante qu’il avait été difficile de ne pas la croire. C’est lors de son 17e anniversaire, déjà diplômée qu’elle s’envolait  pour les USA : Harvard lui ouvrait ses portes. De la petite fille, de l’adolescente, il ne restait plus rien, ne restait-il que cette femme en devenir à la silhouette alléchante, au regard brillant qui sait parfaitement jouer du moindre de ses charmes pour obtenir ce qu’elle veut. La fin justifie les moyens, c’est ce qu’elle avait appris et après s’être fait la promesse de ne plus jamais souffrir, de ne plus jamais faire confiance, Hermine avait fini par devenir le chasseur et non plus la proie. Le requin et non plus le plancton juste bon à être dévoré. Cette cicatrice ne parvenait pas à se refermer et s'enfermait-elle dans une apparence de puissance pour éviter qu'on ne l'approche.

Harvard et sa liste du bonheur qu’Hermine avait suivi à la lettre. « Pour être heureux, entourez-vous, car la solitude est néfaste à tel point que les personnes seules mouraient aussi plus jeunes ». À cela Hermine répondait en s’appliquant à être toujours entouré par une foule, une foule d’inconnue, une foule de personnes à observer, ne s’approchant que ceux effleurant sa qualité. « Pour être heureux, la qualité des relations humaines prévaut sur la quantité. Ainsi les relations sécurisantes et de long terme augmentent la clarté des idées et la mémoire. » Celle-ci allait de pair avec le reste et les proches d’Hermine pouvaient se compter sur les doigts d’une main. Quant à la dernière consigne, la jeune blonde lui riait volontairement au nez : « Pour être heureux, il faut savoir que l’on peut compter sur son conjoint. »

C’est devant la statue des trois mensonges, comme tous ici l’appelaient que la jeune femme passait le plus grand temps à étudier et réviser, ou bien dans les bibliothèques au multiple ouvrage. C’est ainsi qu’elle passa le plus clair de son temps à survoler les pages, faisant parti des élites de sa promotion. Rien ne semblait vouloir faire ombrage à cette jeune femme qui obtenait toujours ce qu’elle désirait d’une manière ou d’une autre finalement, oui obtenait-elle tout en s’oubliant, toujours plus profondément, toujours plus intensément. Interne, elle avait fini par le devenir, interne elle l’était et allait devenir une grande chirurgienne de neurologie ou de la plastique, un grand médecin accompagnant les célébrités, suivant l’ensemble de loin ou de près. Une multifacette bien utile pour celle qui ne cessait d’avoir besoin de toujours plus de savoirs, de connaissances pour être certaine de ne pas s’apercevoir qu’elle passait à côté de la véritable vie. C'est finalement plutôt logiquement qu'elle avait fini par se diriger vers l'esthétique, quoi de plus normal pour celle ayant un besoin de contrôle, de perfection... Sous ses doigts de faits les défauts se transformaient en atout, en qualité.

Corée du Sud, c’est là-bas qu’elle avait finalement choisi de s’installer, d’abord par soucis de perfectionner cette nouvelle langue, puis par curiosité. C’est sur un site de rencontre qu’elle avait fait la connaissance de celui qui n’avait jamais lâché le morceau, passant outre son apparence, passant outre sa volonté de bien faire. Il avait su l’apprivoiser au fil des années malgré les différences culturelles. Dans un premier temps l'échange n'était que par message, puis par appel... Finalement les rencontres avaient finis par se mettre en place. Hermine n’avait pas cessé de travailler et voyageait beaucoup, jusqu’au jour où le mariage fut prononcé. Il était un homme à l’influence montante, celui qui se retrouve jeté dans le monde politique sans même en avoir conscience, celui qui dans se désire d’être à la hauteur de sa femme, d’avoir toujours plus de richesse fini par aborder les mauvaises personnes, tisser les mauvais liens.

Voyait-elle régulièrement ses parents avec qui les relations s’étaient harmonisées, l’entente bien que superficiel était plus présente, notamment lorsqu’elle leur apprit en premier qu’elle était enceinte. Grands-parents heureux, elle s’était enfin détendu et avait abandonné sa superficialité pour s’épanouir, pour découvrir la vie, la vraie. Malheureusement le bonheur est toujours éphémère et alors qu’elle venait d’accoucher, son mari fut pris dans le tourbillon de la manipulation. Fréquentant les mauvaises personnes, l’homme avait fini en un rien de temps par endetter la nouvellement famille. Acceptant de se positionner dans la politique, de représenter ceux qui se battait pour plus de liberté, dans un pays où tout était toujours trop cadré, il en avait oublié les risques.  Pour sauver les apparences Hermine accepte bien des manigances, jusqu’à se poser cette question, dont sans doute, personne n’aurait jamais la véritable réponse :

- « Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour préserver les vôtres ? »

Les choix furent de plus en plus difficiles comme provoquer la mort de certaines personnes, des clients principalement. Héberger des hommes de main pour l’introduire dans son réseau de personnes influentes. Hermine semblait dépérir semblait se perdre, s’éloigner de tout ce qu’elle avait voulu approcher : la perfection, la droiture, le respect des lois. Son mari ne prenait pas conscience des éléments, ou ne voulait pas comprendre, lui murmurant chaque soir à l’oreille que tout allait s’arranger, que ce n’était qu’un passage, mais que par la suite, le couple serait riche, riche et influent. Et puis un jour, tout ceci n’avait plus semblé suffire. En un mois à peine, Hermine avait tout perdu. En un mois à peine elle avait tué deux personnes, deux clients la consultant régulièrement pour des opérations d’améliorations physiques. L'ensemble était passé pour des complications dû à l'opération, les complications ayant entraîné la mort. L'avait-il appris ceux faisant chanter sa famille, était-ce pour ça que tout avait débuté ? Sa famille disparue, emportée par une explosion de la demeure, du moins le pensait-elle avec cette hargne inconsciente. Elle avait une nouvelle fois tout perdu, absolument tout. Brisée, encore une fois, le sang invisible recouvrant ses mains, Hermine ne semblait voir plus aucune option, plus aucun désir, plus aucun sentiment. La culpabilité ne l'animait pas vraiment, elle avait fait ce qu'elle pensait être juste, pour sauver les siens. Tout en ayant conscience d'être devenu les monstres qu'elle détestait et maintenant, que restait-il ? Une seconde question émergea alors de son esprit :

- « Jusqu’où êtes-vous prêt pour espérer soulager la douleur dans votre poitrine ? »

Vengeance, le mot est faible, celle qui jusque-là avait accepté de se soumettre pour protéger les siens et qui avait finalement échoué avait décidé de se venger de celui qui était responsable du chantage et de tout ce qui lui était arrivée jusqu'ici. Ne voyait elle aucune autre option, qui serait coupable, celle qui avait tué ou ceux qui l'avait obligé à agir ainsi ? Qui pouvait prouver qu'elle avait été menacé ? Coupable, coupable, coupable, les mots n'avaient de cesse de se répercuter dans son esprit. Celle qui avait juré de sauver des vies avait finalement décidé de provoquer la mort –et bien qu’elle l’avait déjà fait pour sauver les siens et qu’elle n’en avait pas éprouvé la moindre culpabilité (le pensait elle tout du moins), cette fois-ci, s’était différent-.  Hermine était devenue une autre.

C'est en une semaine, à peine que l'ensemble s'était joué. Avait-elle fait croire que la femme du principal coupable avait gagné une séance de chirurgie gratuite et qu'un bilan était offert. Celle-ci avait répondu présente et lors de l'intervention, l'épouse avait perdue la vie, oups. Personne ne s'était méfié, le couple ne semblait pas beaucoup échanger. L'enfant fut récupéré à l'école et ce fut au moment ou elle allait l'étouffer que la police l'arrêta. Tout était terminé, avait-elle échoué même dans sa vengeance, celle-ci n'était pas complète. Le vide n'était pas comblé, non, aucunement.

Menotte au poignet, c’est tout ce dont elle se souvenait alors qu’elle se réveillé dans une petite couverture dans un endroit qu’elle ne connaissait aucunement. Était-elle morte ? Était-elle en train de rêver ? Chacun semblait agir comme si de rien n’était et aussi surprenant que cela puisse paraître, malgré son absence de souvenir –qu’elle comptait bien élucider vis-à-vis de ses connaissances- la jeune femme avait décidé de s’installer, de se reconstruire… Qui sait, tout ça lui permettrait peut-être d’échapper à la justice ?

- «  Qui êtes-vous ? » questionna une voix à quelque pas d’elle « Levez-vous, vous allez avoir froid » rajouta-t-il en la détaillant de ses yeux sombres
- « Hermine, Hermine Delorme,  psychologue » souffla-t-elle lentement.
- « Bienvenue dans notre ville » fit cette voix « Je peux vous offrir un café vous avez l’air d’avoir un peu froid. »

S’emmitouflant dans cette étrange couverture, qu’elle avait fini par délaisser sur le sol, elle suivi sans trop savoir pourquoi cet homme qui lui promettait de l’aider. Glissant ses doigts dans sa chevelure à la recherche d’une quelconque trace[/b] Comment aurait-elle pu redevenir médecin alors qu'elle avait tué ? Comment accepter de soigner, de rendre beau ce qu'elle avait anéanti. Incapable de toucher une nouvelle fois le matériel médical ou de s'approcher d'un hôpital, elle avait fait le choix de revenir à sa double spécialité, à ses études de psychologie effectué en même temps que son école de médecine. [/b]Hermine ignorait ce pourquoi elle était ici, mais aussi loin de cette réalité douloureuse, elle espérait pouvoir réparer, consolider. Chaque nuit se réveillait-elle en hurlant, en avisant ses mains, combien de litre de sang avait-elle encore sur les doigts ? Tout était-il toujours justifiable? Était-elle définitivement perdue ? Ignorait-elle tout de ce nouveau monde, tout en ayant la certitude profonde d’avoir une chance, une infime chance d’avancer encore un peu. Mais où se trouvait-elle réellement ? Pourquoi n'était-elle pas derrière les barreaux.

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