Epreuve 1 - THE OTHERLANDS & NO HØPE

Voilà que son âme s'éveillait, que ses prunelles se révélaient. Les questions se bousculaient dans son esprit désorienté, mais comme à son habitude la Brume faisait des siennes et la laissait dans le brouillard, de manière figurée comme littérale. Rat de laboratoire piégée à jamais dans les desseins d'un destin imprévisible et cruel, se réveiller dans un endroit inconnu devenait peu à peu son triste quotidien.
Mais elle avançait, progressait, repoussait l'assaut du désespoir et de la peur en traçant sa route : la sortie ne devait pas se trouver très loin. Un mauvais rêve, une autre diablerie de cette fourbe île, rien de plus, rien de moins. Le lendemain, elle irait rendre visite à Euphialtes, lui commanderait à boire. Oui. Ce n'était qu'un mauvais moment qui ne durerait pas éternellement. Forcément, forcément.
Imposante structure qui la surplombait à proximité, vestige d'une civilisation intelligente éteinte si l'on en croyait les ruines, Samuelle n'avait d'autre choix que d'en pénétrer l'enceinte pour espérer trouver quelqu'un, quelque chose qui pourrait nourrir son maigre espoir de s'en sortir en vie. Elle observa une dernière fois le ciel, une mauvaise pensée à son Créateur qu'elle haïssait et elle attrapa une pierre de façon à pouvoir se défendre s'il le fallait.
Il faisait sombre, la pénombre était oppressante. Domaine insalubre, la poussière régnait en maîtraisse. Le moindre de ses pas faisait couiner les lattes du parquet : elles menaçaient de se briser sous le poids de la gardienne. Son coeur battait vite, ses poings étaient serrés. Sam entendit alors une voix indiscernable un peu plus loin. Un homme, une femme ? Elle ne savait pas, mais surtout elle ne la reconnaissait pas. Puis la porte devant elle s'ouvrit et une créature en sortit en hurlant un nom incompréhensible, suivit d'un "clic" aussi innocent que menaçant.
Et ils se retrouvèrent enfermés. "Qu-quoi ?" Son accent australien ressortit. Bois, oreilles de lapin, visage androgyne, Samuelle observa la ... Chose s'énerver contre la poignée puis s'effondrer. Elle recula d'un pas de manière inconsciente, plus choquée qu’effrayée. “Je …” Son regard détailla de haut en bas la créature. "Tu ... T'es fait mal gamin ? ... Gamine ?"

La chose pleurait.
Larmes discrètes qui s'écoulaient dans la pénombre, cette silence souffrance si humaine serra le cœur de la Gardienne. La douleur était commune à toutes les espèces, Samuelle pouvait se reconnaître et reconnaître les siens dans cet instant de faiblesse. C'est alors que le regard de la créature se fit bien plus dur, en réponse à quoi celui de l'humaine se fit bien plus doux. Tentative de consolation tacite qui ne semblait pas avoir fonctionné, l'humanoïde tenta de se dissimuler derrière le tissu de sa capuche. L'insulaire quant à elle se contenta de l'observer, de l'écouter. Sa voix était faible et imprégnée d'un certain désespoir. Accusatrice, également, lorsque ses dernières paroles vinrent faire vibrer les tympans de la demoiselle.  
La chose avait peur. Peur d'elle. C'était troublant.

"... Pourquoi je ferais ça ?" Souffla l'accusée, lâchant la pierre que ses phalanges retenaient. Le fracas résonna dans la pièce abandonnée. Elle n'était pas un monstre, encore moins une tueuse. Du moins pas d'après ses rares souvenirs. Hélas, ils n'étaient pas fiables. "Attaquer quelqu'un sans défense ... Quelle idée." Elle s'agenouilla pour regarder droit dans les yeux son interlocuteur ou interlocutrice. Ses prunelles étaient teintées d'interrogations et d'une légère méfiance malgré tout. Pas forcément envers l'autre, plutôt envers toute cette situation plus grotesque et surréaliste que ce à quoi elle était habituée sur l'île. "Je viens de me réveiller là y'a quelques temps et tu es la première ..." Elle hésita. "Personne sur qui je tombe. Au moins je sais que je suis pas seule au monde." Elle passa ses mains sur sa figure en essayant de se souvenir de la moindre chose précédent son apparition ici, mais rien. Elle ne se souvenait plus de rien. Et ce blanc la frustrait. “Qui es-tu ? Non, d’abord, qu’es-tu ? Tes cornes, elles semblent un peu trop parfaites pour être un simple déguisement. J’me trompe ?” Directe dans ses paroles et dans ses actes, Sam voulait savoir si elle pouvait compter cette chose parmi ses alliés ou ses ennemis avant de passer à l’acte.

Et si elle était tombée sur une planète peuplée d’aliens … Bordel.

Seule. Cette solitude l'étouffait. Seule mais entourée, elle vivait abandonnée par le reste de l'univers avec pour unique compagnie une simple poignée d'âmes bloquées sur une île incohérente et délirante. Alors oui, oui elle se sentait seule. Immensément seule. Oubliée par la même déité qu'elle reniait depuis un an désormais, revoir en permanence les mêmes visages peu à peu infectés et dévorés par cet insidieux désespoir l'enrageait. Elle voulait juste fuir, s'échappe et retourner à la réalité. Mais cela était impossible.
La créature se présenta alors comme une chimère créée par l'Homme. Depuis quand l'Humanité avait-elle réussi à génétiquement modifier des animaux de façon à les faire parler ... ? Ce n'était pas impossible après tout; comment douter des faits lorsque l'on était amnésique ? Elle ne pouvait que les accepter.
Jackalope sembla alors bien moins méfiant, peut-être que cet élan d'humanité malgré la peur et la différence l'avait rassuré, et lui proposa même de l'accompagner dans son univers en lui tendant une main. L'Australienne l'accepta avec un maigre sourire et se redressa tout en répondant à sa demande. "Paix." Mais resta silencieuse vis-à-vis de son offre. Retourner seule à la réalité ou rester sur son bout de paradis infernal avec ses compagnons d'infortune, un choix cornélien. Abandonner les siens ne lui ressemblait pas mais la tentation restait forte. Elle hésita. Longuement.

Mais elle devait d'abord se concentrer sur leur fuite. Ils devaient partir d'ici. Elle s'en alla inspecter la porte fermée. "J'aime bien ton prénom. Moi c'est Samuelle. Sam pour la faire courte. J’vais nous sortir de là." Un mécanisme semblait avoir actionné le verrouillage de la porte. Elle repartit donc récupérer sa pierre, mais pas pour malmener la chimère."Attention à toi gamin. Gamine. Jacklope." Pas de temps à perdre, le bout de roche s'explosa contre la porte en mille morceaux dans un gigantesque fracas; pas assez. La garde soupira et posa son épaule contre le bout de bois et commença à forcer. Elle n'avait peut-être pas la cervelle nécessaire pour résoudre une énigme, mais plutôt les muscles nécessaire pour passer outre et forcer la sortie.

Muscles contractés, la gardienne déployait toute sa force afin d' outrepasser l'étrange mécanisme responsable de leur emprisonnement. Ces vieilles ruines avaient peut-être résisté à l'assaut du temps, mais seraient-elles en mesure de résister à celui d'une humaine déterminée et de son acolyte chimère ? Non. Absolument pas. Un grincement plus fort que les autres et la porte céda relativement rapidement, leur dévoilant un horizon dissimulé derrière un épais brouillard. Samuelle le reconnaissait, Samuelle savait parfaitement de quoi il s'agissait.
Elle n'avait d'ailleurs pas entendu les mots de Jackalope, n'avait même pas remarqué sa prononciation hasardeuse de son prénom. Ce dernier la remercia, ce à quoi elle répondit d'un simple sourire amical accompagné d'un hochement de tête assuré. Elle remarqua enfin à quel point il était petit. Un adolescent ? Surement. Ses traits étaient doux, l'innocence même émanait de son regard citrine. Dire qu'elle l'avait terrorisé à leur rencontre ... Elle se sentait légèrement coupable de ça. Mais sa curiosité avait été forte; qui ne l’aurait pas été à cause de cette foutue amnésie ?
La demoiselle sentit alors les phalanges de son compagnon d'infortune s'accrocher à ses vêtements. Il était inquiet. Il devait avoir peur de se faire avaler par ce miasme effrayant et de disparaître à jamais dans les ténèbres. Incapable de vocalement le rassurer par rapport à cette Brume qui les narguait et dont elle ne connaissait au final rien, l'Australienne préféra attraper la main pour la serrer. Un geste un peu maladroit mais empli de bonté. "Hey, on est ensemble sur ce coup. Pas de panique."

Néanmoins elle prit une posture défensive, basculant tout son poids sur son pied arrière de façon à tenir bon et retenir la petite Chimère si quelque chose venait à tenter de l'emporter contre son gré. Mais plus les secondes passaient, moins cette possibilité semblait réalité. "Jack." Fit-elle, d'un timbre doux. "Tu penses qu'on pourrait traverser la Brume ? On fait ça chez moi, pour retrouver le bercail. Normalement … Ça fonctionne." Sa main se referma un peu plus sur la sienne. "Surtout, peu importe ce qu'il arrive ... Ne lâche pas ma main. Okay ?"

Main dans la main face au cauchemars, face au brouillard, ils étaient les étendards de la tolérance malgré les différences. Seuls face à la nuit, seuls à la merci des éléments et de l'univers, ils avançaient, faisaient front, coopéraient. Jackalope, plus agile et plus attentif s'occupait de l'avant et Samuelle, plus forte et résistante assurait ses arrières. Cette dernière ne savait pas où elle atterrirait, sur son île ou dans la réalité mais la destination demeurait le cadet de ses soucis. Ils devaient survivre, survivre à ce qui se dérobait à leurs yeux embués.
"Tu m'as pas vu quand je dois mettre la misère à quelqu'un qui menace mes amis." Blagua-t-elle sans pour baisser la garde. Les poings étaient serrés, la mâchoire également.

Elle pouvait sentir les hésitations de son guide à travers ses phalanges repliées contre les siennes. L'Australienne comptait sur ce lien physique. Un peu trop. Puisque la main qu'elle tenait alors s'évapora. L'avait-elle lâché sans faire exprès ? L'avait-il fait par mégarde ? Rien de grave, elle n'avait jusqu'à élever la voix et ... "Jack, tu m'as ..." Elle s'arrêta. "Hey Jack t'es là ?" Rien. Rien. Silence étouffant. Elle rata un battement.

"... Jack ? JACK ?!" Son coeur battait à toute vitesse et son sang fusait dans ses veines. Où était-il passé ? Effrayée pour lui, de le voir se retrouver nez à nez avec un animal sauvage ou pire, elle courut. Longtemps. Vite. S'époumonait à hurler son nom jusqu'à s'en déchirer les cordes vocales. Puis elle buta contre une pierre et s'effondra.
Face contre sol, elle haletait avec rage et frappa du poing sur le sol sablé. Sablé ? Larmoyante de colère, elle releva ses prunelles et vit la plage. Pas n'importe laquelle. Celle qui l'avait accueilli lors de son arrivée sur cette île maudite. "Non ... Putain, c'est pas possible. Pourquoi ?" Elle était épuisée. Émotionnellement épuisée, blessée. Elle tourna la tête pour faire face à cette Brume qui avait avalé son camarade, essuya la goutte salée qui dévalait sa joue droite et repartit s'enfoncer dans l'inconnu, l'obscurité.

Pas question de l'abandonner.