Vous et moi

« Bonjour à tous. Prenez ce siège en face de moi, il est douillet et siéra au fessier d'un interlocuteur privilégié comme vous. Nous sommes dans l'antichambre de la Démone la plus célèbre du Palais du Dragon. Non, Hannah n'est pas là, elle est partie chercher des ennuis auprès de son souverain légitime. Vous entendrez sûrement d'ici peu les démonstrations de son humeur. »

J'esquisse un sourire un moment, le regard perdu, comme pour retrouver les premières sensations que j'avais eu en parlant d'elle les premières fois. Je vous suis d'un œil attentif jusqu'à ce que vous finissiez par vous asseoir sur le divan de velours rouge. J'attrape à la volée cette pensée qui doit vous traverser.

« Tout est rouge, chargé d'une chaleur et d'intentions un brin charnelles. »

Je vous laisse alors contempler autour de vous la pièce dans laquelle nous nous trouvons. L'un comme l'autre, nous ne savons pas comment nous avons atterri ici. Je crois d'ailleurs toujours que c'est une projection de mon esprit. L'auriez-vous investie alors ?
Je me lève un instant et vous sers dans une petite tasse décorée de coquelicots un café serré. J'en fais de même pour moi, sans avoir attendu le moindre consentement de votre part. Je me rassieds tranquillement la tasse dans la main droite, le regard fixé sur vous. C'est sans doute la première fois que nous nous voyons sans aucun filtre, juste nous deux. Nous devons nous sentir étranges ainsi, que pouvons-nous quand le quatrième mur est tombé ? Je récupère un sourire en coin, entre gêne et joie, je vous regarde et y trouve une beauté personnelle qui me séduit. Vous avez un charme à vous et je me dois d'aspirer une gorgée pour reprendre mes esprits.

« Vous êtes dans les appartements de Hannathème Lormys, Bras droit non assumé du Souverain Dragón. J'y suis aussi, arrêtons nous en là, c'est un fait et je ne crois pas que nous devions y chercher la cause. »

Je balayais cela rapidement car moi-même je n'y avais pas la réponse. Je voulais simplement faire une annonce et je me retrouvais à errer dans le Palais Démoniaque. J'avoue que fouler les lieux où la Vipère a vécu m'alourdit d'un poids dans la poitrine. Je tourne ma tête sur le côté et mon regard se perd sur la porte de sa chambre, entre espérance de la côtoyer vraiment et le regret de n'avoir pas été à la hauteur. C'est mieux ainsi, la voir ne rendrait la chose que plus difficile et je crois même, en étant ainsi dans ses appartements sans son autorisation, que je n'obtiendrais qu'un sort peu enviable. Je retrouve mes esprits et vous détaille un peu plus dans cette intimité que nous nous sommes créés. Je dessine des cercles avec ma tasse laissant le liquide tournoyer au-dedans. Je semble réfléchir à la façon dont aborder la chose, et je vous sens silencieux juste dans l'attente que l'annonce soit faite, vous êtes pendu à mes lèvres mais je n'y prends aucun plaisir. Je me racle assez bruyamment la gorge.

« Ces appartements, j'aimerais qu'ils demeurent toujours. »

Nous sommes coupés dans ma tentative d'en dire plus par un cri puissant mais terriblement aiguë de notre chère Vipère qui s’époumone sur le souverain dans son bureau. Le Palais doit déjà être en ébullition, saisi par la peur, mais moi être extérieur, je ne ressens pas ces auras qui se frottent l'une à l'autre, je ne ressens qu'une pique au cœur, mais déjà trop heureux d'entendre ce timbre de voix que je m'étais toujours efforcé d'imaginer.

« Et j'aimerais autant qu'elle demeure d'aussi près à ce qu'elle est maintenant. Même si honnêtement, j'en doute sincèrement. Celui ou celle qui reprendra la main refera les choses à sa manière, et je crois que ce sera pour le mieux. Cette création que tu vois n'aura de sens que dans sa destruction. Elle permettra à quelqu'un de s'élever une nouvelle fois pour vous faire vivre d'autres aventures. »

J'arbore un visage plus fermé, mon sourire disparaît sous une vague d'amertume, et de mon regard disparaît cette once de passion qui m'animait précédemment.

« Notre Hannah, celle que nous connaissons aujourd'hui, va disparaître. C'est bien la dernière fois que nous assistons à une telle scène et je suis heureux de la partager avec vous. »

Je vous regarde avec intensité, je ne cherche pas à interpréter votre réaction car je crois bien que vous comprenez aisément où je veux en venir. Je décide quand même de mettre les choses au clair et de finir ma déclaration. Avant tout cela, je finis d'une traite mon café, gardant toutefois la tasse vide entre mes doigts, s'agitant sous la nervosité.

« Je n'arrive plus à lui donner vie comme elle mériterait. Cet univers n'est pas le mien, et je m'y sens esseulé et incapable de lui donner une véritable âme. Si j'ai pu rester "si longtemps", c'est par votre présence et bien sûr, grâce à elle. »

Je marque une pause et j'entends bien Hannah prête à en découdre. Elle vient de hurler au Dragón qu'elle allait "le découiller". C'est bête mais je crois qu'avec la situation et l'angoisse qu'elle me procure, je ne peux que sortir un rire nerveux. J'essaie petit à petit de reprendre un air sérieux et, par chance, le calme s'est aussi fait plus loin. Peut-être Dragón en aurait-il déjà fini avec elle ?

« J'espère que vous garderez un bon souvenir quand même. Je suis conscient de ne pas avoir été bien présent depuis un moment et je ne crois pas mériter ce que vous m'avez tous fait comme honneur lors des votes... J'ai déjà pris à part ainsi Dragón, et il est au courant. »

De toute façon, le voilà bien occupé à régler le cas Hannathème qui sévit dans son bureau et après le choc que je viens t'entendre suivi du grain de voix de la Démone, rien n'est encore terminé.

« Je pense qu'on aura tout loisir d'en reparler en privé, mais pas ici dans les appartements de la belle, je ne sais pas qui pourrait nous y entendre. Mais pour moi, l'aventure tourne son ultime page. »

Je voulais vraiment témoigner que je n'étais pas fâché avec vous. J'essayais de ne rien laisser paraître dans un regard pseudo froid, mais l'on aurait pu y discerner la déception que je m'inspirais de vous laisser. On ne fait pas toujours comme on veut, aurais-je pu dégainer, mais je n'étais pas du genre déterministe. Je me lève alors et me dirige vers vous, quittant le confort de ce fauteuil et de ses accoudoirs de velours rouge. Je tends une main amicale que j'espère que vous serrerez.

« C'est ma dernière passe, mes derniers mots prononcés ici. Je vous souhaite de continuer ici avec la motivation qui m'a manqué, un interforum se dessine déjà et je suis sûr que tout se passera encore à merveille. » Je marque une pause. « Concernant Hannah, je ne sais pas quoi vous dire, mais je pense qu'elle sera reprise. Peut-être que remettre les pendules à zéro aiderait à la récupérer mais bon... Je ne suis jamais très fan de tout cela. »

De toute manière, comment pourrais-je imposer le moindre point de vue en vous quittant ainsi ? Je me dirige vers la sortie de l'antichambre, vous laissant ici. Je pose ma main sur la poignée, marquant mon hésitation. Je retourne mon visage une dernière fois vers vous.

« Ah et je ne suis plus Hannah dorénavant. Je ne sais pas comment vous devrez vous adresser à moi. Mais je vous fais confiance pour cela, vous trouverez j'imagine. »

Je sens l'émotion me gagner alors j'enclenche et je quitte les appartements sans me retourner et alors que chaque pas se fait lourd, mon esprit se déchire et toute cette scène disparaît comme si le rêve avait pris fin. Je murmure pour moi-même alors que le voile se retire une dernière fois.

« Adieu, DT. »