Epreuve 6 - Ismaël H. Sylwette

Sujet: Epreuve 6 - Ismaël H. Sylwette Jeu 17 Fév - 0:18

Préambule:

Epreuve du CorbeauA scattered dream that's like a far-off memory. A far-off memory that's like a scattered dream. I want to line the pieces up - yours and mine. ( Atmosphere → Six - Sleeping At Last )3h25. Accoudé contre l’extrémité de la terrasse, le petit homme contemple le ciel de minuit de ses prunelles ébahies. L’humidité chatouille ses pieds nus ; le vent s’infiltre entre les plis de ses vêtements. Il est tôt, la nuit n’est pas encore terminée, pourtant des pensées retiennent son sommeil léger. Dehors, la plage est vide de ses occupants. La mer est calme, son ressac reposant en rythme avec les battements de son cœur. Sur le sable, l’écume dessine des vagues dont les perles reluisent sous la caresse des étoiles. L’hiver doucement retire son manteau neigeux, pour céder sa gouvernance au printemps, qui les mains pleines de graines encourage les fleurs à éclore. Les journées s’allongent lentement, et les nuits deviennent plus courtes, laissant à Ismaël moins de temps pour profiter de leur sérénité. Très vite, l’esprit brumeux du jeune australien n’est plus là, il s’élève vers la voûte céleste, cherchant réponse à ses divagations. Comme des bulles de savons, légères et opalescentes, ses pensées prennent vie, dessinant toute sorte de formes étranges. Puis elles éclatent, et leur contenu ruisselle contre sa tempe, jusqu’à ses pieds, se perdant un instant à travers leur éphémérité. Est-il toujours éveillé ou somnole-t-il face à l’immensité ?

Les yeux du petit homme papillonnent, chassant le sommeil à coups d’épuisette. Soudain, une faible lueur attire son attention fragile. Quelque chose au loin brille à travers l’obscurité ; une sorte de luciole perdue sur la plage. Ismaël plisse les yeux, concentrant son regard sur cette lueur qui rapidement s’intensifie. Bientôt, elle est jointe par d’autres similaires, qui changent de couleur tandis qu’elles se rapprochent. Un peu de jaune, du bleu, du vert, du rouge, de l’orange, et même de l’indigo et du violet ! Un ballet luminescent qui défile dans sa splendeur devant son balcon. Un souffle de vent, et le rû de lumière oscille, colorant le ciel par intermittence de teintes inconnues resplendissantes. Alors qu’il se penche, le petit homme distingue des paires d’ailes ornant les lucioles ; ce sont alors des papillons. Ils volettent silencieusement, arborant leurs robes de nuancier. Le cœur du jeune australien se serre, ému par ce spectacle incongru, qui ferait presque oublier sa fragile éphémérité.

Les bulles de savon se sont reformées, l’eau à contre-sens ruisselle. Les pensées sont à nouveau là, intactes ; des souvenirs immaculés baignés par les lumières d’une palette pastel.

Il se souvient : « Ses jambes tremblent, il fait froid, mais la main chaude d’Eliakim lui donne le courage d’avancer. Posant son pied contre la branche, il continue d’escalader le tronc, sans prendre garde aux échardes se plantant dans sa peau. Le sourire enfantin de son ami est suffisant pour lui donner envie de le rejoindre là-haut. Profitant ensuite de l’échelle oubliée par ses parents lors des travaux de rénovations le mois dernier, il termine son ascension et glisse sur les tuiles. Là, il s’assoit sur une couverture. Eliakim a dans les mains son livre d’astrologie, offert par sa tante pour ses résultats scolaires excellents. Il lui en lit des passages, en dessinant de son index dans le ciel les constellations. Et ensemble, ils passeront leur nuit blanche dans le noir, à observer le ciel étoilé. »

Ces moments éphémères refont surface. Ils rappellent au petit homme que le temps est à sa poursuite. Que rien ne peut empêcher sa course, que tels des papillons de nuit, les souvenirs vont et viennent à travers la brume de son esprit. Certains peuvent être engloutis, d’autres sublimés par ses réfractions. Il aimerait pouvoir les attraper de ses phalanges et les serrer contre lui, pour continuer de les chérir pour l’éternité. La perspective d’arrêter le fil du temps, de saisir à pleines poignées ce papier déroulant pour en ralentir sa chute. Profiter de l’instant présent, ne plus fuir le futur, accepter de laisser le passé. Le petit homme laisse un profond soupire quitter ses lèvres, tandis que les bulles de savon éclatent à nouveau. Les papillons ne sont plus, malgré une attentive observation, le ciel est toujours aussi étoilé et l’horizon sombre comme la nuit. Contemple-t-il et partage-t-il lui aussi le même ciel, alors qu’il n’est qu’un tout petit homme perdu dans un océan d’existences ?

Car ce temps perdu le hante ; il le poursuit jusque dans ses rêves. Un lapin blanc filant à toute allure à travers la forêt de ses songes, portant avec lui les espoirs vain d’un enfant apeuré. Parfois, le jeune australien se demande s’il est possible de vivre avec le poids de l’avenir. Il se souvient de sa rencontre avec Casey, la femme aux lunettes rouges, dont on dit qu’elle connaît les grands schémas du temps. Lui, il le sait, n’aurait pas les épaules pour supporter un tel fardeau. Car recroquevillées, elles portent déjà les stigmates des regrets. Calmant sa respiration sifflante, Ismaël s’époumone sur la brume de son esprit pour rétablir la clarté. Il répète avec application les exercices de la doctoresse Malleby, retrouvant rapidement une certaine clarté. Certaines questions le dépassent, et son esprit continue de lui jouer des tours. Mais à travers le ciel de minuit, la question subsiste : l’éphémérité a-t-elle un sens ?

L'éphémérité d'une chose, d'une sensation ou d'un être vivant consiste en sa durée de vie très courte, qui n'a pas le temps de laisser son empreinte ou un souvenir, et laisse un sentiment d'inachevé.

Tel un papillon qui ne pourra voir le jour se lever. Comment s’assurer que sur la toile de l’existence un simple petit coup de pinceau puisse garder en mémoire les histoires d’un seul être ? Grands sont les risques qu’en peignant son oeuvre, un autre artiste avec plus de couleurs ne déborde et n’efface cette petite tâche monochrome. Après tout, tous doivent composer sur un même tableau, mais tous n’ont pas le même pinceau. L’importance, n’est pas tant que ce point minuscule ne ressorte, mais simplement qu’il existe. Pour ne jamais oublier, jamais l‘oublier.

3h55. Le petit homme cligne des yeux. Il s’est encore perdu dans ses pensées. Alors qu’il reprend le contrôle petit à petit de son esprit, il observe à nouveau le mouvement des vagues. La sérénité du paysage apaise ses émotions balbutiantes ; la plage de nuit apporte un réconfort que nul ne saurait trouver par lui-même. Inspirant l’air salé de la côté, Ismaël compte les étoiles qui parsèment le ciel. Elles sont nombreuses ce soir. Sans la pollution du monde extérieur, elles s’affichent sans pudeur, révélant leurs couleurs dorées avec magnanimité. Ce spectacle insouciant lui rappelle ce séjour à Broome, quand il n’avait que treize ans. Des fragments du passé qu’il chérit profondément, et dont la simple évocation amène sur ses lèvres un sourire sincère.

Il est toujours tôt, ou tard. La nuit n’est pas encore endormie, quant au soleil il n’est pas prêt de se réveiller. Jetant un dernier regard vers l’horizon, Ismaël se convainc de retourner se coucher. Entrouvrant la porte fenêtre et se glissant à l’intérieur, une chaleur agréable l’entoure. Il pousse un long soupir. Il ne reste plus qu’à attendre que le sommeil vienne le trouver.
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