- Introduction:
Bonjour, âme de passage, et merci de porter ton attention sur ce texte que j'ai concocté avec amour et sueur !
En général, j'essaie de faire en sorte que mes textes soient compris sans trop de contexte, mais là, il y a quand même des trucs utiles à savoir :
- L'Esquisse, c'est un monde dans lequel des gens se retrouvent catapultés sans raison, et où la logique défie généralement le bon sens (entendre que le monde se rince les doigts de pied avec les lois de la physique quand ça lui chante).
- Penrose, c'est une doctorante en physique qui s'est retrouvée propulsée dans l'Esquisse, et qui cherche depuis à en expliquer les lois, qu'elle refuse de considérer comme fondamentalement aléatoires. Elle appartient à l'ordre des Cyantifiques, qui sont des gens qui étudient justement l'Esquisse (même si tout le monde ne partage pas sa vision des choses).
- Les Tempêtes, ce sont des événements qui peuvent se produire dans l'Esquisse, qui sont des sortes de... tempêtes, justement, mais qui ont la particularité de pouvoir remodeler les lieux qu'elles frappent.
Pour le thème, je choisis :
(Par contre, je l'ai pris au sens de brouillard, pas au sens d'essaim comme semble le suggérer l'image, parce que... j'avais pas remarqué qu'il y avait un énoncé en plus du thème avant qu'on me le fasse remarquer aux alentours de 23h30. Donc c'est un peu tard pour tout changer, donc libre à vous de prendre ça en compte ou pas.)
)
Enfin, pour les détails qui intéressent peut-être deux-trois personnes dans le fond, ça fait tout pile 1500 mots (j'ai tranché jusqu'à obtenir le compte), et c'est la suite directe de mon texte de l'édition précédente.
Sur ce, bonne lecture à vous !
La nuit vient de tomber sur l’Esquisse, aussi brusquement qu’à son habitude. Au sommet d’une colline se mettent en branle cinq silhouettes qui n’attendaient qu’elle ; parmi elles, Penrose, la première à s’être levée, bientôt rejointe par ses collègues pour contempler ensemble leur destination.
Devant eux se tient la Vallasma, fidèle à son surnom de "Vallée flamboyante". À cette heure tardive, elle leur apparaît comme une colonne de torches de cent couleurs allumées dans la nuit. Ça et là, des voiles lumineux, semblables aux aurores du grand Nord, tapissent l’atmosphère, et laissent leurs teintes recolorer les silhouettes qui les traversent. Du fond de la vallée, couvert d’une épaisse brume, l’écho d’un crépitement constant rythme la marche, régulièrement ponctué par les coups du tonnerre ; ils sont même si nombreux qu’on peine à affirmer si leurs éclairs les suivent ou les précèdent. Au loin, luisant faiblement au travers de la nuée, on devine des lacs de lave ou d’autres matières incandescentes, dont les couleurs varient des bleus les plus doux aux rouges les plus vifs. En descendant plus près, il s’y dessine des motifs, des taches sombres et claires agencées dans une harmonie chaotique, scintillant au gré des fusions thermiques qui s’opèrent dessous. À chaque nouveau lac, Penrose ne peut s’empêcher de se pencher pour les contempler. Bien que pressés, ses collègues s’efforcent de la laisser faire, ne serait-ce que quelques instants, avant de la rappeler à poursuivre leur route.
Au plus profond ils s’enfoncent, au plus le brouillard s’épaissit. Quand ils lèvent les yeux, ils n’aperçoivent plus le ciel, seulement un plafond opaque traversé par endroits d’étoiles qu’ils jureraient n’avoir pas vues avant. Autour d’eux, les flancs de la vallée disparaissent aussi, au profit de lueurs étouffées dont on ne sait plus distinguer les sources. L’air se réchauffe légèrement, mais sa fraîcheur nocturne continue de tenir tête à tous ces brasiers qui la convoitent. Il se fait aussi plus humide et plus lourd, rendant la respiration plus difficile ; à mesure que l’apnée les gagne, les cinq comparses ralentissent leur marche et redirigent leur attention de leurs pas à leur souffle, à la seule exception de Penrose. Celle-ci n’a plus d’yeux que pour ce qui l’entoure, et si l’asphyxie la retient de sourire, ses pupilles écarquillées trahissent encore la fascination qu’elle éprouve pour cet endroit.
Au terme d’une longue marche, le meneur du groupe fait un signe de bras pour marquer l’arrêt, que chacun imite à son tour à l’attention de la personne suivante pour transmettre le signal à travers la brume. Lentement, tout le monde commence à déplier son matériel ; les manœuvres se font sans dire un mot pour ménager le souffle de chacun, et parce qu’il faudrait hurler pour se faire entendre au milieu du grondement constant. Chacun commence à sortir des choses en tout genre de son sac : des ustensiles, des vêtements, des fragments de mobilier, ou encore des bouteilles vides, le tout disposé sur le sol, autour d’un petit pot de humus où poussent quelques trèfles. L’ensemble donne par endroits l’air d’une brocante, par d’autres celui d’une déchetterie. Penrose, qui a terminé la première, retourne rapidement étudier les lieux.
Après quelques instants, le dispositif est installé. Une membre de l’équipe fait un signe de main à un autre, pointant du doigt la direction vers laquelle s’en est allée Penrose. Son collègue s’exécute ; il marche jusqu’à apercevoir la silhouette de la concernée, puis s’en approche encore et lui tape l’épaule pour attirer son attention.
«
Quoi ? »
Penrose lui adresse un regard beaucoup moins fantaisiste qu’au décor ; il soupire discrètement, puis indique à sa partenaire la direction d’où il vient, tâchant de lui faire comprendre par ses mimiques qu’elle est attendue par les autres. Face à l’absence de réaction, il brise lui-même le silence :
«
On va commencer, dit-il doucement.
–
Ah, oui… »
Penrose lance un dernier coup d’œil dans le vide, puis se retourne enfin vers l’endroit indiqué, et laisse son camarade l’escorter vers le reste de l’équipe. Là-bas, tout le monde est déjà à son poste : l’un se tient au centre, au-dessus du pot aux trèfles, et les deux autres plus à l’écart, surveillant les alentours autant que la brume le leur permet. Ceux-ci sont rejoints par l’homme accompagnant Penrose, qui se dirige quant à elle vers le centre. Aussitôt qu’elle arrive à portée de murmure, son confrère qui s’y trouve l’interpelle :
«
Donc on est bien d’accord. Si une Tempête se déclenche…–
Il y aura pas de Tempête, l’interrompt-elle sèchement. »
Les deux collègues se dévisagent un instant, puis s’accroupissent vers le dispositif et se mettent enfin au travail. Le premier manipule le pot, promenant ses doigts dans l’humus et sur les trèfles, tandis que la seconde surveille les objets qui l’entourent. Au bout d’un moment, un grondement se fait entendre à travers les crépitements naturels de l’endroit, et un vent puissant commence à se lever ; les bourrasques font danser les cheveux de Penrose et déplacent les objets les plus légers, que la jeune femme replace prestement. Après seulement quelques secondes de ce tumulte, elle est de nouveau interpellée :
«
Tu vois ?–
On est sûrs que c’est une Tempête ? »
Son confrère prend une mine consternée, perceptible même à travers le rideau brumeux.
«
Qu’est-ce que tu veux que ce soit d’autre ?–
Je sais pas. Continue. »
L’opération se poursuit, le grondement redouble et le vent gagne en force. Les trois autres collègues se rapprochent progressivement du centre, où les souffles sont plus supportables. Le brouillard devient aussi moins épais, soulevé par les courants ascendants ; une des vigiles, qui n’est en conséquence plus requise à son poste, l’abandonne pour venir aider Penrose qui peine de plus en plus à garder tous les objets en place. La tourmente se poursuit encore quelques instants autour des compagnons qui s’efforcent de garder leur calme, quand l’un de ceux restés à l’écart s’écrie soudain :
«
Arrêtez tout, vite ! »
Le responsable du pot cesse immédiatement ce qu’il est en train de faire, et les rafales calmissent progressivement. La collègue venue aider Penrose se précipite en direction de celui qui a crié.
«
Il s’est passé quelque chose ?, demande-t-elle en panique.
–
Le vent était trop fort, répond-t-il,
il commençait à soulever de la lave.–
Merde, tu t’es brûlé ?–
Non, c’est bon. »
Le calme revient. À mesure que l’ambiance s’apaise, chacun reprend conscience du paysage qui l’entoure. Suite au déferlement, les nuées se sont envolées, les grondements amoindris et l’air allégé, ramenant une atmosphère moins hostile et plus propice à la contemplation de l’environnement. Personne ne sourit vraiment, tous cherchent encore à reprendre leur souffle, mais on peut deviner un profond soulagement dans toute l’équipe. Deux se serrent les bras. Un troisième s’allonge au sol, et respire à grands coups. Même Penrose peine à afficher le sentiment de déception qu’on lui attendait. L’homme au pot de trèfles s’approche tranquillement d’elle.
«
Tu le vis comment ?, adresse-t-il sans malice.
–
Il faut faire d’autres tests.–
D’autres tests ? Ta théorie disait qu’on ne pourrait pas provoquer de Tempête conséquente dans la Vallasma, et on en a provoqué une, qu’est-ce qu’il te faut de plus ?–
J’ai presque rien vu, il y avait trop de brume. »
Son interlocuteur manque un battement de cœur ; il va pour lui crier dessus, mais c’est son collègue allongé qui reprend la parole pour lui :
«
Penrose, s’il te plaît. C’est toi qui as tenu à ce qu’on fasse ça ici.–
Je sais. J’y ai pas pensé.–
Et tu vas vraiment soutenir qu’il n’y a pas eu de Tempête ?, reprend le premier, légèrement calmé par le délai qui lui a été accordé.
–
Je sais pas. On a eu un gros coup de vent, mais on n’a pas vu le paysage se déformer ou quoi que ce soit.–
Évidemment qu’on n’a rien vu, avec le brouillard !–
Oui, c’est bien ce que je dis. »
Les deux autres reviennent pour calmer le jeu.
«
On devrait rentrer avant que l’atmosphère se rétablisse, propose l’une.
On aura tout le temps de discuter de la suite plus tard.–
Passez devant, rétorque Penrose,
je vous rejoins. »
Les regards qui lui répondent sont moins interdits qu’on pourrait le penser ; tous semblent déjà habitués à ce genre de remarque de sa part. Comme par respect pour cet énième caprice, ses collègues se regardent silencieusement, et se convainquent les uns les autres de la laisser là par leurs éternels signes de main. Mais juste avant qu’ils partent, elle les interpelle une dernière fois :
«
Une chose : en rentrant, vous pouvez ramener ça sur mon bureau ? »
Elle tend un classeur à son compagnon le plus proche.
«
Sur la pile étiquetée "théories incertaines". C’est la plus grosse des trois. »
L’homme récupère le classeur, et se risque à demander :
«
Toujours pas décidée à accepter que l’Esquisse ait une volonté propre ?–
Non. »
Il marque une pause.
«
Penrose, pourquoi faudrait-il que tout fasse toujours sens ?–
Parce que. »
Elle se retourne. Son interlocuteur abandonne, et rejoint ses collègues qui s’en vont. L’équipe repart gravir les pentes de la Vallasma, sillonnant entre ses lacs flamboyants et ses aurores colorées. Derrière eux, la nuée se reforme progressivement ; bientôt, ils ne distinguent plus la silhouette de Penrose. Mais ils continuent sans plus vraiment se retourner, et personne ne s’inquiète plus que de raison.
Ça lui passera.