On explose de joie. On éclate en sanglot. En effet, il existait dans cette réalité des sentiments qui anéantissaient tous sur leur passage. À cet égard, la larme qui roulait sur ta joue aurait pu détruire des mondes.
L'instant suivant chassa cette pensée sans pour autant te donner la force d'ouvrir les yeux. Puis une main se posa sur ta joue, essuyant la parle salée d'une caresse aérienne.
Une part de toi, celle qui survivait depuis plus de deux ans dans un jeu mortel, savait que quelque chose n'allait pas. Cette partie de toi, elle aurait voulu se rebeller, hurler, confronter.
La caresse s'accentua sur ta joue avant que deux bras ne viennent te presser contre un corps chaud. Le joueur en toi céda alors devant l'enfant qui retrouvait là quelque chose qu'il avait perdu depuis trop longtemps : une attention sans condition ni jugement.
Tu enfouis ta tête dans son cou, inspirant son parfum que, au fond de toi, tu avais reconnu.
- Bonjour Maman.
Tu sentis son sourire sans même le voir. C'est ce qui te donna la force d'ouvrir les yeux, de te détacher de cette étreinte qui avait duré plus que l'éternité. Contempler ta maman petit bout, c'était comme recevoir la réponse à une question qui te torturait depuis des années.
Dans ses quelques rides tu voyais le poids des années, dans sa fossette la femme joyeuse qu'elle était, dans ses yeux la certitude que dorénavant tout irait bien.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je suis venue te chercher. Ou plutôt je t'ai attendu, au bout du chemin.
Tu fronças les sourcils, incertain du sens à donner à cette réponse. Tu te rendis alors compte que tu serrais quelque chose dans ta main gauche. Baissant les yeux, ton regard tomba sur un objet qui n'aurait jamais dû se trouver là.
- Maman. C'est quoi ça ?
***
C'était l'item le plus étrange que tu avais jamais reçu en récompense. Et pourtant tu avais dans ton inventaire une tunique qui te donnait une allure de lapin et un manekineko. Mais l'item que tu venais de sortir de ton inventaire n'était pas de cet étrange qui faisait sourire, plutôt de celui qui hérissait l’échine.
Une fleur de cerisier veinée d'or qui reposait au centre d'un cocon fait d'un métal de la couleur d'une galaxie, formant une poignée ovale qui tenait parfaitement dans ta main. Deux rameaux de la même couleur liaient la poignée à une tige du même métal. Un objet qui aurait eu sa place dans le dictionnaire pour illustrer le mot orfèvrerie.
- Ça doit valoir un max de cols ! Tu ne veux pas me le donner ?
- Commence déjà par m'acheter ce que je te vends, répondit-il au rat.***
Le sourire de ta maman te fit te sentir tout drôle petit bout.
- C'est une clef, répondit-elle, avec ce ton qu'elle prenait lorsque tu te trompais en faisant tes devoirs.
- On dirait une arme.
- Les deux ouvrent des portes.
Mais quelle porte pouvait bien ouvrir celle-ci ? Pourquoi ne te souvenais-tu plus de ça ? Pourquoi ta mémoire soi-disant absolue ne voulait-elle rien te dire ?
***
La première fois que tu pris la clef dans ta main, tu manquas de la lâcher. Elle était chaude, très chaude, plus qu'elle n'aurait dû l'être.
Tu l'avais montré à un joueur qui possédait la compétence expertise.
Il n'avait même pas voulu la toucher. Tout juste avait-il pu t'apprendre que c'était une clef nommée la « clef du cœur » et qu'elle ouvrait une porte. Le regard qu'il t'avait jeté avant de s'en aller aurait dû te mettre la puce à l'oreille.
Il n'en fut rien.
Tu étais déjà perdu.***
Pour la première fois, tu pris le temps de regarder autour de toi.
Le cœur au bord des lèvres sans trop comprendre pourquoi, tu te rendis compte que tu connaissais cet endroit. Tu avais trébuché plusieurs fois sur les bords de ce tapis, fais tes devoirs sur la table dans le coin là-bas, regardé la télé depuis ce canapé… Tu savais qu'en l'allumant, une ligne de pixels resterait noire.
- Maman, qu'est-ce qu'on fait là ?
- On est rentré à la maison. C'est ça le bout du chemin.
***
Tu savais que tes amis étaient inquiets pour toi. Si tu avais été lucide, tu aurais admis qu'ils avaient sans doute raison de l'être.
Mais tu n’étais plus toi-même depuis que cette sensation de passer à côté de quelque chose te volait tes jours et tes nuits, t’empêchant de réfléchir, de raisonner, de ne serait-ce que penser.
Elle s’infiltrait en toi, sous la forme d’une odeur de fleurs de cerisier, de bruits que tu étais le seul à entendre, de visions fantomatiques qui brouillaient la frontière entre réalité et rêve.
Quand personne ne te regardait, tu sortais la clef du cœur de ton inventaire, cherchant dans ta mémoire la porte à laquelle elle pourrait bien correspondre. ***
Ta maman se releva sans lâcher ta main. Elle te redressa sur tes jambes avec une force que rien n’aurait pu laisser soupçonner. Ses yeux brillaient. Les tiens aussi sans doute. Sur la table, tu remarquas quelques pétales.
- Tu te souviens de ce jour là
- Bien sûr, mais je suis surpris que toi tu t’en souviennes. Tu étais petit.
Cette réponse, fausse note dans une partition finement jouée, te fit l’effet d’une gifle en pleine figure. Elle eu le mérite de te faire revenir à la réalité.
- Maman, comment je suis arrivé ici ?
- Mais par la porte bien sûr.
Du doigt, elle pointa la porte derrière toi. Doucement, tu tournas la tête. Ta main lâcha la clef qui tomba à terre dans un bruit sourd tandis qu’un vertige te saisis à la vue de cette porte en bois sombre qui pulsait à la manière d’un cœur battant et dont la poignée était tachée de sang.
Alors vint la douleur. Avec elle vint la mémoire.
***
Une chambre d’auberge dans la ville principale du vingtième étage pareille à toutes les autres, qui était le décor d’une nuit d’insomnie pareille à toutes les autres. Tu fermas les yeux, savourant le poids de la clef du cœur dans ta main.
Cependant tu t’inquiétais de n’avoir toujours pas réussi à trouver la porte dans laquelle elle devait s’enfoncer.
La clef du cœur.
La porte.
Le cœur.
Brusquement, tu sursautas en sentant la pointe de la clef te piquer le bout du doigt faisant perler au bout de celui-ci un chose que tu n’avais pas vu depuis plus de deux ans.
Du sang. Ton sang.
***
Ton doigt effleura le bois sombre lorsque tu te plias en deux sous la douleur. La main de celle qui prétendait être ta mère se posa sur ton épaule.
- Tout va bien ?
- Oui. Je me souviens maintenant.
Tu te souvenais. Qu’est ça faisait mal.
- Je vais y aller. Mes amis m’attendent.
- Ta chambre aussi.
- Je n’ai pas de chambre ici.
Elle recula comme si tu l’avais frappé.
- Je n’ai plus de chambre ici depuis que tu es partie. Je n’ai plus eu de foyer depuis le jour où tu nous as quitté.
Tu fis un pas en arrière vers la porte.
***
Du sang. Le sang du cœur.
La clef du cœur. Tu le savais maintenant quelle porte elle devrait ouvrir. Comme dans un songe, la dague se posa puis s’enfonça dans ta poitrine.
La porte s’ouvrit.***
La porte refusa de s’ouvrir lorsque tu posas la main dessus.
- Reste !
- Je resterais, si vous étiez ma mère.
- Mais je suis ta mère.
- Non. Vous êtes un putain de programme créé par un IA malade engendrée par un homme dégénéré.
Une nouvelle larme roula sur ta joue porteuse de la puissance nécessaire pour effacer un univers tout entier.
- Vous êtes un monstre, un boss peut être même. Mais vous n’être surement pas ma mère et vous voulez savoir pourquoi ? Parce que je ne peux rien oublier, même pas les monstres, et que ça ma mère s’en serai souvenu.
- Alors vas-y, fait ce que tu fois faire. Bats-moi, tues moi et prends ta récompense.
- Non.
Elle ricana. Entendre ce son dans la bouche de quelqu’un qui avait l’apparence de ta maman te fis mal.
- Il n’y a que comme ça que tu pourras sortir d’ici.
- Non. C’est faux. Parce que certains joueurs m’ont appris que parfois, le seul moyen de gagner c’est de ne pas jouer.
- Kojiro…
- Je m’appelle Rienthal.
L’instant suivant, ta dague se matérialisa dans ta main. A l’instant où le monstre allait se jeter sur toi, tu plongeas en avant, passant sous sa garde.
Tu frappas la clef en plein cœur.
Elle se brisa en deux, détruisant l’illusion.
Tu te réveillas tremblant, sur ton lit, à l’auberge.
Au-dessus de toi flottait un message du système:
Retrouvailles – quête abandonnée.