L'éternelle insatisfaite - Dragón

Dragón

Quelques jours s’étaient passés, me laissant le choix de tuer ces intrus s’ils s’avéraient être inutiles. Pourtant, ils n’étaient ni démons, encore moins des humains. Pourquoi être entrés ici en catimini, sachant très bien qu’ils allaient tomber dans un piège. J'avais passé des heures à m’amuser, au début, mais avec ce qu’ils révélaient après les réelles menaces de mort et de blessures irréparables, personne n’osait y croire. Si des anges arrivent en Enfers, on va devoir redoubler les protections. Ils ne sont pas comme ceux rencontrés il y a des années, lorsqu’on nous recherchait, Dragon et moi. Leur personnalité est propre à chacun, mais sans aura, c’est difficile de porter un jugement définitif. J'ai demandé aux meilleurs gardiens de rester proche des cellules, si jamais il y a un quelconque changement de m’en informer dans l’immédiat. Après deux semaines je les abattrai moi-même et on reprendra le cours de notre vie, restant tout de même à l’affût. Et c’est quand je pense à la manière de m’y prendre pour massacrer les trois des cinq vivants qu’on défonce ma porte, alarmée par un garde. Lui affolé, moi surprise. Me dirigeant vers le sous-sol, il n’y a qu’une question qui se pose : pourquoi sortir leur aura maintenant?

En les fixant tour à tour, faibles êtres ignobles, aucun ne semble apte à discuter. En ouvrant une cellule, je sors un couteau à la lame aiguisée, sous l’une des jugulaires. Cette lumière qui agresse mes rétines, je la préférais éteinte. Enchaînés sans nourriture ni eau, ça me rappelle les mauvais souvenirs avant mon procès. Maintenant c’est du passé, pour eux leur destin est scellé à mourir ici. S'ils avaient avoué leur venue, je n’aurais pas fait couler autant de sang. C’est que j’y prends goût surtout, mais ils sont trop affaiblis pour dire un seul mot. Après une heure d’interrogatoire intensif, j’essuie ma lame et retourne dans mon bureau. Ce n’était pas des réponses pertinentes, toutefois assez de curiosité pour en faire part à Dragon.

Ma plume tapait sur le parchemin, hésitante. Un messager pourrait y aller avec un de mes comptes rendus, sauf qu’une certaine idée jouait dans ma tête depuis cette fameuse nuit. Je ne saurais l’expliquer, c’était différent. Je fronçais les sourcils après qu’un sourire stupide se dessinait sur mon visage. C'est une réaction semblable dont j’ai eu avec Dragon la dernière fois; une joie. Peut-être que c’était dû au fait qu’il soit resté, qu’il m’offrait plus d’attention qu’à l’habitude. Un réconfort parce que je suis toujours seule au palais? Ce n’est pas un isolement obligatoire, ni mérité, seulement il faut gérer cet endroit qui pourrait devenir chaotique si le contrôle est perdu. Les autres démons ne sont jamais suffisants, ou j’en demande trop. Je m’énerve moi-même à chercher une raison, c’est décidé j’irai voir Dragon ce soir, au moins ça me fera une excuse au lieu de créer un caprice, comme il me casse les oreilles à le crier haut et fort. Ça manque d’action en Enfers, aussi étrange que ça puisse paraître. J'ai envie de plus, c’est lassant écrire des rapports tous les jours. Déjà je dois noter à chaque Haut-Général les commandes précises pendant mon départ. Ce n’est pas le calme plat en Enfers, quoique peu de démons sont au courant de l’histoire des anges, il n’y aura pas de révolutions dans les prochaines semaines à venir. Je serai partie deux jours, peut-être moins. Toutes les lettres sont estampillées, bien visibles.

Ma première visite avait été brève à Damned Town, si ce n’était que pour informer Dragon de vive voix d’ordre professionnel. Un mot assez large, puisque je n’étais restée qu’au palais en m’imprégnant de l’architecture basique. Passant au travers du portail, j’atterris proche d’une lisière d’arbres. Habituellement bruyante dans mes entrées, la nuit est tombée et réveiller les inconnus serait dangereux. Par contre, je sais qui a les tympans et yeux ouverts. Souriant inconsciemment, j’avance à pas de loup et regarde autour. Quel est le but de mettre cette pièce si haute lorsque ça prend une éternité y monter à pied. Un grognement inaudible et je déploie mes ailes à l’intérieur, m’assurant que personne ne pourra les voir. De toute façon, elles sont aussi noires que la clarté inexistante. En quelques coups de vent, je me retrouve au deuxième étage où le silence règne. Les plumes rétractées, j’attends une dizaine de secondes pour m’avancer vers la porte. Mon cœur bat plus vite, comme si j’avais fait un mauvais coup ou...comme à chaque rencontre. Ça m’agace autant que je souris en mettant le pied dans la pièce.

Habillée de ma tenue de combat, bien plus à l’aise que les vêtements d’humaines, je passe une main dans mes cheveux rouges; écarlates à la lumière sur son bureau. J’avais un pas décidé mais devant lui, je perds mon détachement. On peut discerner les courbes de mes hanches, ma poitrine légèrement cachée par mon corset et mon joli visage. Seul à seul, je préfère taire ma cicatrice à l’œil en m’assoyant sur le meuble de mon côté droit. Si j’avais été accompagnée, je serais restée debout. Seulement un mètre nous sépare et j’appréhende sa colère, parce que j’ai désobéi. Je commence tout de même à briser le silence, une pointe aguicheuse avec une petite provocation. Je sais qu’il déteste lorsque je prononce son nom d’une mauvaise manière.

-Bonsoir, Dragón. Tu ne changes jamais tes habitudes après autant d’années, travailler tard le soir. Tu devrais relayer plus souvent tes gardes, ils sont endormis à l’entrée.

Je lève les avant-bras, un sourire sournois.

-Je n’ai rien fait cette fois, promis!

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Dragón

Devrais-je m’aventurer, ouvrir cette porte qui mène à un enfer insoutenable qu’est ce démon? De toute évidence, chaque chemin jadis emprunté se rapporte à lui. C'est vrai, il y a toujours ce mystère qu’il cache, impénétrable mais combien à soif de le découvrir, griffer chaque parcelle de sa peau afin qu’il puisse seulement sourire. Il fut un temps où il devait être heureux, offrir une étincelle dans ses yeux doux, devenus ombrageux. Pourtant, infidèle à sa demande, mes doigts fins se déposent sur la poignée froide. Un léger grincement entre mes dents. Qui aimerait cette sensation après tant d’années passées dans la délicieuse chaleur des Enfers. La meilleure des amies vient me rencontrer, s’amuse avec mon âme voyageuse, hésitante un instant ou encore, confiante. Kâa tourne autour de mes jambes, de mes bras protégés par mes armements. En même temps d’avancer, je suis distraite au toucher de ses écailles sous mes doigts, puis lorsqu’elle chatouille mes hanches dévoilées. Un peu plus et j’en ris, sauf que je dois me concentrer sur mon objectif, qui n’ose pas lever le regard pour me saluer. Pourquoi à chaque fois, ça me surprend autant que ça m’irrite. La sympathie, ce qui nous manque à tous les deux. Même si j’ai vécu longtemps avec des humains avant de retourner en Enfer, je n’ai toujours pas ça ancré en mes veines. On peut dire que c’est un point commun qui nous uni. D'un sourire mesquin, je sens mon aura s’agiter. Il commence déjà à m’énerver, j’aurais dû m’en douter depuis le temps.  

-Au moins il y a quelqu’un qui aime ma présence ce soir, mais je ne suis pas venue pour jouer, quoique...

Je m’écarte du sujet principal. En prenant un couteau à ma cuisse, j’ai bien envie de déchiqueter son papier parchemin pour qu’il daigne s’intéresser à moi une seconde. Mis à part ma folie passagère, je tourne le métal autour de mon index, cherchant mon calme quasi inexistant. Pourquoi devrais-je avoir une justification pour venir lui rendre visite? J'ai désobéi, j’aurai une punition?  

-J’ai donné des instructions à chacun des hauts-gradés. Je n’ai pas fui sans laisser de traces, si ça peut te rafraîchir la mémoire d’un certain démon.

Embêtée. La pointe du couteau s’immobilise sous le bout de son menton, le forçant à relever la tête. L'autre main en appui au milieu du bureau, mes yeux l’observent, dérivent sur son cou, ses épaules musclées, la longueur de ses bras. Il a toujours été un magnifique démon, ça ne changera pas. Dragon peut bien regarder où il le désir, ce n’est pas comme si je l’empêchais en ce moment – ni jamais d’ailleurs. Mon armure ne dissimule en rien mon joli visage, laisse apparaître mes formes longilignes, sans oublier mes cheveux étincelants à la lumière des chandelles. Le buste incliné, un sourire se dessine. Il faut mettre fin à ce silence méprisant, ce serait dommage envenimer la situation. C'est sarcastique, je sauterais bien sur ce corps à ma disposition si je n’étais pas sa seconde.  

-Maintenant que j’ai toute ton attention, on peut en venir aux faits. Il y a quelques heures, les auréoles des anges prisonniers se sont manifestées. Je n’ai pas pu en soutirer grand-chose, ils sont trop faibles. Tu connais ma façon de travailler, mais je ne les ai pas encore tués. J'attendais de savoir s’il y avait eu du mouvement ici, parce que je ne crois pas aux coïncidences.

Pensive, je range mon couteau dans l’étui et me redresse légèrement, l’aura mélancolique. Elle me trahi devant lui, cette flamme au-dessus de ma tête qui ne fait qu’envahir la pièce maintenant, prête à exploser. Dragon décèle souvent une échappatoire, cette fois il n’aura pas le choix de m’avouer ce qu’il mijote pour anéantir l’autre...angélique. On était bien ensemble, jusqu’à temps qu’elle réapparaisse dans un autre monde et qu’il s’éclipse pour mieux régner, loin de moi. On applique ses directives, ce qui fonctionne, mais je m’ennuie à écrire ses comptes-rendus. Je le fixe du côté où il n’y a pas ma cicatrice et ajoute d’un ton plus sec le fond de ma pensée.  

-Je sais que tu couvres certains stratagèmes Dragon. Toutefois, s’il y a une quelconque corrélation avec ces anges en particulier, tu dois me le signaler. Je me doute qu’ils soient les seuls à atteindre les Enfers. Si cette Haelyn veut la guerre, je me ferai une joie de lui envoyer des lambeaux!

Un coup de poing sur le meuble à foudroyer les bûches. Bon ça va, on se calme Hannah.  

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Dragón

Moi, partir, quelle idiotie. À la limite du possible, ma patience doit se canaliser où je retournerai en Enfer aussitôt revenue. Mon âme devient de plus en plus brûlante, mon audace est irréfléchie tellement qu’il en saurait quoi faire de mon corps. Je veux toujours plus, pas nécessairement des hommes autour de moi, ceci dit je peux m’en occuper assez facilement. Des projets d’envergure, les Enfers commencent à s’adoucir, l’anarchie qui ne réserve pas de surprise aux démons entrainés à la dissiper. À quand date une chasse, un vrai combat afin d’assurer la justice dans ce monde? L’hémoglobine se veut rare, l’adrénaline est manquante dans plusieurs veines et les démons ont soif. Mon autorité est encore sur contrôle, chaque membre haut-gradé est dans le respect. Aucun ne cherche à dépasser l’autre, tout le monde connait sa place. Pourtant, Dragon, quand reviendras-tu?  

Égoïste à fixer mon supérieur quelques secondes, son coup de poing résonne dans toute la pièce, également dans mes tympans. Sa voix magnifique, même un brin élevé, façonne ma peau cristalline sans lui avouer. Ses yeux dorés tel un serpent, les cheveux foncés toujours entremêlés. Pourquoi donner une chaleur si son corps est si froid. Je m’assois adroitement, sans lui donner raison mais soit, mon aura est des plus sinistre. Je sens le noir au-dessus de ma tête, le naufrage qui n'existe pas dans un autre monde.  

-Après tout, ça ne répond pas à ma question. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de suspect ici pour que les auréoles s’activent en Enfer? Les anges sont tellement chétifs que ce n’est pas normal une telle action.  

Le scrutant de manière curieuse, j’attends une réaction qui évidemment, ne viendra pas. Insoutenable, mon regard se balade autour de la pièce, le talon qui cogne au sol. Devrai-je les tuer de mes propres mains. Peut-être que c’est un signe qui appelle les autres à traverser dans la chaleur des Enfers pour nous anéantir mais comment pourraient-ils réussir avec autant de démons. Il doit y avoir une raison cruciale qui se cache derrière dont on ne sait pas.

-Je peux m’en charger moi-même, malgré nos démons qui sont formés. Sauf que tu sais Dragon, j’ai toujours été meilleure en combat qu’écrire sur des papiers parchemins. Ici, par exemple, ne manquerait-il pas de soldats ou de forces armées? Tu te souviens de nos moments sur la Terre des humains? On vivait dans la misère, une vie différente avant de tomber des Enfers. Je n’ai jamais su pourquoi tu m’avais arrêtée quand je courais. Toi non plus d’ailleurs. On est restés ensemble depuis ces temps impitoyables.

Maintenant assise posément, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ces dernières paroles. Il y a de ça des centaines d’années, dans quel but remettre ces problèmes sur le tapis. Parce qu’on était seulement deux contre tout le monde, à vouloir justement, en faire un meilleur. Est-ce qu’on a réussi, là est la question. Je crois au positif, du moins Dragon ne m’a jamais mentionné le contraire. Ni le négatif. En attendant quoique ce soit de logique, je me lève pour me retrouver devant la fenêtre, derrière son dos. Les coudes sur le cadrage, je me penche pour l’ouvrir. La brise fait revoler mes longs cheveux, la colonne vertébrale courbée. Une paume sous ma cicatrice, je regarde le paysage nuancé.  

-Alors?

 

Codage par Libella sur Graphiorum