Epreuve 3 - KOBE HIGH SCHOOL & UP THE ANTE

La saison d'été et les festivals commençaient à se lancer et les gens commençaient à se rassembler. Les places étaient bondées, les différents stands de nourriture débordaient de choses rapides et faciles à manger. Ça sentait très bon, et tu avais déjà bien du mal à ne pas t'arrêter partout pour tout goûter ou tout acheter même. Mais tu n'étais pas là pour ça à la base, tu voulais juste rejoindre l'un des petits parcs. Ou même juste un coin de verdure en réalité, dans tous les cas un endroit calme. La saison ouvrait la possibilité à tous de pouvoir jouer, s'amuser et profiter de la musique et des festivités ambiantes et tu n'étais pas homme à vouloir faire autre chose que la joie et la bonne humeur du moment. Alors tu avais ressorti ta bonne vielle guitare pour en jouer. Tu trouves un endroit sympathique ou enfin poser tes affaires. Tu passes un peu de temps à accorder ta guitare et enfin commencer à jouer. Les yeux fermés, juste pour toi, juste pour les notes, les harmonies. C'était vraiment un moment parfait et l'envolée musicale que tu produis est bien amusante pour toi. Tu fais une ou deux improvisations avant de jouer de vrais morceaux, comme ceux de ton groupe préféré du moment ou même des reprises des chansons de ton frère.

Tu ne t'attendais pas par contre en rouvrant les yeux qu'il y ai une petite foule qui écoutait et surtout ce type en costume qui a l'air presque émerveillé. Un organisateur du festival qui semble grandement avoir besoin de quelqu'un pour reprendre une première partie un des soirs du festival. Tu ne comprends déjà clairement pas pourquoi il vient te voir toi. Tu ne sais pas quoi lui dire et de toute manière, l'homme est parti avant même que tu peux former un mot. Il te demande juste de l'appeler avant la nuit.. Tu es presque un peu trop choqué pour comprendre. Alors bien que tu prennes la carte et la fixes durant un moment, tu finis par rentrer auprès de ton frère dans votre appartement. Tu lui expliques en quelques mots. Et comme tu l'envisageais, il saute de tous les côtés. Bien sûr, il te pousse à accepter, c'est presque qu'il te prendrait le téléphone des mains pour répondre lui-même. Sans se douter une seconde que tu n'as aucune idée de ce que tu vas faire. Et tu n'oses pas lui dire que tu ne peux pas le faire. Tu déglutis longuement sans oser lui parler retournant dans ton silence bien plus sécuritaire.

Alors comment diable en étais-tu arrivé ici ? À tourner en rond dans les coulisses d'une scène encore vide. Il y a du temps avant ton passage d'après l'organisateur, mais tu es là, Asling t'a aidé à programmer les chansons. Tu dois tenir une petite demie heure, en soit ce n'est pas si compliqué et tu as choisi une alternance de style. Tu te souviens oui... ton frère t'avait parler de créer ton programme hypothétique. Écrire une liste ça ne faisait de mal à personne non? Et tu avais laissé l'excitation monter. Être les différents morceaux, les idées et l'expérience de ton aîné, avant même de t'en rendre compte, tu avais confirmé ta venue. Et tu avais regretté, moins d'une heure plus tard. La raison principale de ton appréhension ou de ton envie de fuir n'était pas ta maîtrise musicale. À mesure que le temps passe, tu sens cette torsion dans ton estomac. Le stress bien que bénéfique à ton sens d'habitude, cette fois semble être un poids, un poids sur ton crâne qui manque de te faire tomber dans l'énième cercle que tu fais dans les coulisses.

Quand on vient te dire que tu passes dans dix minutes, tu te demandes où sont passé les deux heures d'attente. Pourquoi le temps était aussi traître? Les jambes tremblantes, tu montes l'estrade et vas te placer ou on te l'a demandé.. D'un regard, tu vois l'assemblée et tu sais pertinemment qu'ils ne sont pas là pour toi. Pourquoi tu as accepté de faire ça, pour qui tu t'es pris pour faire ça? Une inspiration. ll va falloir que tu commences, mais tu as juste l'impression de ne pas être à ta place, pourquoi est ce que tous ces gens te laisseraient du temps après tout, ils se fichent de ton existence, ils sont là pour le véritable groupe après toi. Deux inspirations. Les premières notes s'échappent de ta guitare, tu commences calmement, des reprises assez connues. Majoritairement pour calmer ton cœur qui s'amuse à sauter comme un kangourou sous cocaïne. Les notes légères, régulières et calme arrivent à ramener ton esprit dans un état plus léger. Et tu souris, tu oublies, tu joues devant Asling, comme lors de vos longues soirées d'entraînement. Tu suis le planning, l'angoisse se change en amusement au son des cordes. Tu entends des applaudissements, certaines personnes qui chantent ce que tu joues. Ça te fait plaisir et tu sens ton angoisse qui s'envole, plus légère qu'un cumulo-nimbus de fin d'été.

Et tout se passait bien, jusqu'à arriver sur la partie chantée. Ta voix très légère ne serait pas un problème, les techniciens ont mis les micros de manière à ce qu'on t'entende sans que tu n'ai besoin de trop pousser. Mais le problème n'est pas là. Tu va devoir chanter devant tout ce monde, tu te retrouves soudain des années en arrière. Ce premier jour d'école.. l'image est floue bien sur tout autant que le souvenir bien lointain maintenant. Mais tu te souviens de cette peur. Cette peur viscérale, comme si tu avais été projeté contre un mur gelé. Ou tous tes muscles s'étaient tétanisés. Tu ne sais plus si tu vois le public ou cette classe. Ce jour-là, tu avais été tellement traumatisé que tu étais devenu mutique des années et les conséquences se sentaient encore aujourd'hui, d'où ta voix trop faible. Tu ressens ce froid qui monte à nouveau, le long de tes pieds et tes jambes d'abord. Le bruit s'efface, du coton dans tes oreilles ou bien est ce bourdonnement incessant qui t'empêche d'entendre ce qui se passe? Tu sens des larmes qui monte à tes yeux, tu ne voulais pas revivre ça, jamais. Tu ne veux pas être paralysé à nouveau. Tu ne veux pas retourner dans ce silence, même s'il est tellement sécurisant. Tu ne veux pas revivre cette chose..

La peur remonte, tu la sens, tel un serpent de givre qui grimpe le long de tes veines. La boule dans ta gorge, tu ne sens plus les sons. Tu ne veux pas, c'est la seule chose que tu arrives à penser. Et cette pensée essaye de combattre cette peur sans aucune réelle force. Tu voudrais prier les dieux de ne pas te laisser sombrer. Tu voudrais pouvoir demander de l'aide à quelqu'un. Mais tu es seul, les techniciens ne peuvent rien faire pour toi. Pourtant, tu les connais ces chansons, tu en as écrit certaines, tu a juste besoin d'arriver à outrepasser cette peur glaçante. De retrouver cette voix qui était retournée se cacher loin en toi. Tu t'énerves contre toi-même. Tu t'énerves d'être terrorisé à ce point. Tu fulmines de ne pas pouvoir produire une note. Tu te maudis de ne pas arriver à passer outre une peur bien trop vieille, bien trop lointaine. Qu'est-ce que tu risques objectivement? Des rires? Des huées? Ça ne changera pas ta vie non? Qu'est-ce que dirait Asling?

"Tu peux le faire petit Sucroquin. Tu veux ma voix? Aller répète après moi..."

Tu fermes les yeux, tes doigts continuent leurs notes. Répète après moi.. tu répètes alors, le public s'efface, le froid recule, ton frère est avec toi et tu commences à chanter. Tu produis ces sons mélodieux, le micro commence à les envoyer au public qui commençait a s'impatienter de cette minute de silence. Le chant est plus fort, plus assuré, accompagné par l'esprit de ton frère. Il avait promis d'être avec toi, tu n'as jamais douté de sa présence, de son soutien. Tu finis par sourire, la glace est partie, il n'y a plus que la joie, d'avoir enfin réussi à vaincre cette peur, d'avoir chanté. Tu entends des voix, d'abord peu, puis de plus en plus, le public t'accompagne. Et les larmes qui s'échappent de tes yeux sont des larmes de joie cette fois. Ta représentation se termine avec des applaudissements et tu descends rapidement. Tu te sens épuisé, mais aussi particulièrement heureux et fier. Tu n'as pas vu ton frère dans les coulisses, sa voix derrière le rideau qui t'avait guidée finalement. Tu ne peux pas t'empêcher après avoir posé ta guitare de lui sauter au coup.

Tu as vu ce que j'ai fait!! T'as vu! J'ai chanté!!

Infos Utiles:

Accompagnée par les doux tintements des suzumushis, ma guitare résonne comme une douce poésie à mes oreilles. Enfermé dans cette bulle voluptueuse, je ne me préoccupe plus du monde qui m’entoure. Si bien que lorsqu’elle éclate, à l’intrusion d’une nuisance sonore, le retour sur Terre est tout sauf agréable. Le brouhaha lointain des applaudissements et des sifflements d’encouragement pour les prochains groupes devant se produire m’assaillent et me font prendre un air renfrogné. Mes yeux violacés viennent se poser sur l’homme, souriant, accroupis devant moi. Celui-ci se présente, ainsi que ses camarades à deux pas derrière lui, avant de passer directement à la raison pour laquelle il vient briser l’univers que je m’étais créé : Remplacer le guitariste qui leur à fait faux-bond suite à une blessure à la main...

Bien que je puisse comprendre que ne pas avoir de guitariste soit un problème pour leur représentation, je ne vois pas en quoi venir trouver un parfait inconnu pour le remplacer à la dernière minute, soit l’idée du siècle. Ce n’est qu’un festival de musique sans aucun concours et surtout, n’ont-ils aucune solidarité pour celui qui s’est blessé ? Est-ce pour la gloire ou pour la passion qu’ils ont formé un groupe ? La musique ce n’est pas un sujet que l’on peut pratiquer sérieusement sans être impliqué et sincère dans ce que l’on fait alors, demander à un étranger dont ils ne connaissent rien et n’ont pas testé leur compatibilité artistique... L’harmonie en sera déjà ruinée, peu importe mon niveau en la matière et ma connaissance des morceaux qu’il est en train de citer afin de me convaincre... Un des morceaux ne se trouve pas dans mon répertoire et pourtant, j’ai l’impression de connaître ce titre malgré tout : Moonlight... Où ai-je entendu ce nom ? Une sensation désagréable semblant me serrer subtilement la boite crânienne prend place et j’essaie de ne plus trop y penser, chassant la raison de sa présence.

Lentement, je range silencieusement ma guitare dans son étui avant de le fermer et me lever. D’un geste maintes fois répété, je le place habillement dans mon dos avant de porter à nouveau mon attention sur le groupe, aux yeux oscillants entre l’anxiété et l’espoir dans l’attente de ma réponse. Celle-ci sera sans appel :


Il est évident qu’ils n’en passeront pas une bonne s’ils ne trouvent pas une solution ou se résignent à ne pas participer mais c’est leur problème, pas le mien. Main dans les poches, je m’éloigne du groupe en direction de la scène. Même si je suis venu ici pour profiter de l’autorisation de jouer dans le parc, sans risquer de payer une amende, je vais tout de même faire un tour du côté de l’estrade afin de potentiellement découvrir de nouvelles techniques de guitare. Même si c’est un festival avec des groupes amateurs, certains ont de bonnes idées en termes d’innovation et adaptation de chansons connues, ce qui est une bénédiction pour les oreilles.

Après quelques chansons, je reconnais le groupe de tout à l’heure qui montent sur scène... Ils ont donc décidé de faire face à leur public sans guitariste, un pari osé que le leader précise dès qu’ils sont en place. Au moins, ils sont honnêtes, je peux leur reconnaître ça. L’aurait-il fait avec ma présence sur scène ? Personne ne le saura jamais et je suis d’autant plus attentif en écoutant ce qu’ils vont devoir improviser avec un batteur, un chanteur à la basse et un gars au synthé. Les deux premiers morceaux sont bien réalisés, ce qui prouve à mes yeux l’harmonie et la confiance qu’ils ont les un en les autres. Le chanteur annonce le prochain morceau, Moonlight et mon attention n’en est que plus grande.  

Aux premières notes, un coup de poignard heurte violemment ma cage thoracique et ma respiration augmente progressivement. Cette douce mélodie me plonge peu à peu dans une profonde mélancolie. Je connais cette chanson... Je la joue lorsque je suis seul, cherchant à savoir pourquoi je me sens nostalgique en le faisant, sans connaître son origine. Pourquoi suis-je triste en l’entendant ? Où l’ai-je entendu pour la première fois ?

Alors que mon esprit et mon cœur sont pris en otage, je fais face aux nombreuses questions qui restaient alors sans réponses jusqu’à présent... Je me revois soudainement arriver au campus et arpenter les couloirs du lycée pour la première fois, souvenirs lointains et pourtant qui me semble si réel en cet instant. Sa voix résonne depuis la salle de musique et m’enchante, me guide jusqu’à lui à travers les corridors vides de l’établissement, baignés dans une lumière crépusculaire. Ma main se pose sur la porte, alors que je tente de l’observer par le hublot de la fenêtre. Ne le voyant pas très bien et voulant visiter la salle de musique, je m’engouffre silencieusement dans la pièce. Je sens que le propriétaire de la voix est aussi magnifique que cette dernière mais... Il n’est qu’une ombre, une silhouette dont les bords flous lancinent mon crâne à coups de migraines incessantes. Quand pourrais-je te voir à nouveau dans ses souvenirs qui me reviennent peu et peu douloureusement ?

La musique s’arrête et je reprends lentement conscience, le cœur toujours aussi meurtris par le retour de mes souvenirs perdus. La place n’est plus au doute concernant le fait que je me souviendrais de lui un jour autrement qu’en regardant, assaillis par d’effroyable maux de tête, une affiche de l’idole la plus populaire du moment... Hei... ou Heisuke comme je l’appelais sûrement autrefois. Te souviens-tu encore de celui qui t’a oublié alors que tu suis ton rêve ? Ai-je le droit d’espérer pouvoir te faire face, à nouveau, sans ressentir de vide en moi ?

Les applaudissements autour de moi me ramènent à la réalité et fatigué, je regarde les visages souriants de ceux que j’ai éconduis un peu plus tôt. Le regret n’est pas dans mes habitudes mais... Toi qui me connaissais mieux que personne d’autre, saurais-tu répondre à cette question qui me ronge actuellement de l’intérieur ? Aurais-je dû accepter leur invitation pour me sentir un peu plus proche de toi et goûter à nouveau au bonheur ?